Difficile de s’attaquer à un monument de la BD. Surtout lorsque l’on sait les fans d’Hugo Pratt si prompts à défendre avec acharnement leur vision (parfois très personnelle) du marin solitaire. La peur d’être accusée de dénaturer l'œuvre originale qui a l’air de s’être emparée de Juan Díaz Canales est donc compréhensible. Compréhensible mais dommageable.


Car la solution n’est pas d’égrener avec des gros sabots les références aux anciens tomes comme il le fait ici. Le passage halluciné dans les rêves de Roth rappelle très fortement la moitié des Helvétiques, l’introduction de Prague (“il existe au moins deux horloges magiques à Pargue”) transpose presque mot pour mot une phrase des Fables de Venise etc. A trop vouloir faire du fan service, Juan Díaz Canales surcharge et ne parvient pas à lier l’ensemble de façon convaincante, perdant au passage la poésie inhérente de Pratt.


Serait-ce un aveu qui pointe son nez lorsque Corto dit lui-même qu’il est “en train de perdre (son) talent proverbial pour les phrases spirituelles" ? Car Corto n’est pas seulement spirituel. Il est surtout insaisissable et inattendu. Contrairement à cette BD. Pourquoi ne pas prendre un peu plus de risque et se libérer davantage du carcan de l'œuvre originale ? Cela permettrait peut-être de garder l’esprit tout en l’adaptant aux nouveaux auteurs. On ne peut pas se forcer à rentrer dans un moule qui n’est pas le sien. Et l’on sent que Corto ne rêve que de s’échapper de celui-ci.


Et pourquoi (mais c’est peut-être une contrainte de l’éditeur?) faire tenir une intrigue aussi fournie (qui couvre une période de l’histoire aussi cruciale et dense) en si peu de pages ? Impossible de s’attacher ni de comprendre réellement les personnages tant les informations fusent et l’action fonce sans une seule minute de répit. Hugo Pratt prenait la liberté d’étirer ses histoires sur parfois 150 pages, ce qui lui permettait de souffler par moment et de faire entrer la poésie et le mystère dans ces histoires sans qu’on ne se sente oppressé par ce besoin d’avancer.

Frustration d’autant plus intense que la dernière page parvient à toucher du doigt la magie qu’on recherche encore aujourd’hui. Puisque le potentiel est là, on compte sur vous pour imposer un long format à ses prochaines aventures.


joseph_lfrc
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le 4 oct. 2022

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le 4 oct. 2022

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