je finis Dalva dans une rame de métro et c’est une excellente façon d’accentuer le contraste entre la beauté de ce livre, de ces personnages et de ces paysages et la moche réalité du monde moderne (dont Jim Harrison n’a jamais été un grand fan).
et puis je repense à Paul, l’oncle solaire de Dalva, qui affirme se sentir aussi libre sur la cuvette des toilettes dans une vieille maison que lorsqu’il parcourt le désert dans la région de Loreto, et j’essaye de fermer les yeux et de me sentir libre dans le sous sol parisien surpeuplé. ça ne fonctionne pas pour moi, sans doute car je ne suis pas libre comme Paul qui parcourt le monde à la recherche d’une errance infinie et de mystères inconnus. mais je retiens la leçon, parmi toutes celles que j’apprends au contact des personnes de Big Jim.
c’est dur de raconter ce roman, comme c’est dur de le lire car Dalva est à la fois dense et lent. l’intrigue avance pas à pas mais les informations fusent, les idées s'enchaînent et les lieux se suivent à toute vitesse. trimbalées de la côte Ouest des USA au Nebraska avec de nombreux crochets par la Basse Californie du Sud, plongés dans l’esprit puissant de Dalva et le cerveau catastrophique de Michael, on perd parfois pied. quelques secondes sous la surface sordide de l’histoire de la conquête de l’Ouest.
il faudrait une analyse précise et érudite pour relever la multitude de savoirs, d’expériences personnelles et globales qu’égraine Jim Harrisson au long de ces 500 pages. mais le texte perdrait de son attrait et il ne l’a sans doute pas écrit pour qu’il soit disséqué ainsi. il laisse ce travail de fourmis aux semblables de Michael.
Dalva est à prendre dans son ensemble, comme une météorite aussi flamboyante que son héroïne, une épopée humaniste à la sensibilité magnifique qui plonge autant dans le cœur des humain.e.s que dans le passé meurtrier des états-unis.
Dalva c’est la virtuosité d’un écrivain au grand cœur et à l’esprit magnifique poussés à l’extrême. c’est l'Amérique profonde et rurale, les deux yeux fermés sur son passé catastrophique, qui rencontre le savoir immense masculin, banc et égoïste de Michael. c’est l’humanité mystique et alcoolique du vieux Lindquist qui permet de ramener la famille de Dalva parmi les mortels. c’est une multitude de personnages banals et pourtant.
c’est une critique des mœurs états-uniens qu’ils ont tenté (et très souvent réussi à grand coup de fusils) d’imposer à aux populations qui vivaient dans ces grands espaces avant elleux.
c’est enfin une conscience affuté des propres limites de ces critiques, de la même façon que Northridge réalise l’impossibilité de sauver les Sioux qu’il côtoie, Jim Harrisson ne sauvera pas les Etats-Unis qui élisent Trump, continuent d’assassiner impunément les noirs, de fracturer le sol pour du gaz, de commander sur Amazon et de mépriser les peuples primaires. mais il ouvrira sans doute les yeux de ses lecteurs.rices et sauvera assurément les âmes de toutes les personnes qui se laisseront entraîner à la suite de Dalva sur Pêche pour un long galop avant de dormir à la belle étoile dans un canyon. parce qu’on ne peut plus rester insensible à la destruction de ce qui compte après avoir lu Jim Harrison.