Je n'en démords pas, c'est une manie, il faut toujours que je juge un manga à sa couverture. Évidemment, il n'est nullement question de s'en tenir au dessin. Au risque de me faire passer pour ce que je ne suis pas, je ne m'arrête pas à des considérations aussi superficielles. Qui osera se risquer à ma liste de mangas favoris constatera deux voire trois abominations graphiques au milieu du palmarès. C'est vous dire si je suis au-dessus de tout cela. Non, moi, je lis entre les lignes, quitte à inventer un sous-texte qui n'existe pas. Alors on regarde la couverture du premier volume de Noritaka, le Roi de la Baston, on plisse les yeux et on lit «Glénat». C'est pas tant un sous-texte que le nom de l'éditeur. Un nom qui, j'aime autant vous le dire, n'engage pas à la lecture.
Vous qui, pour beaucoup, avez fait - comme moi - vos premières dents sur du Dragon Ball avant de ne vous dégénérer devant One Piece, pousserez alors des cris d'orfraie. Cris auxquels je resterai sourd mais auxquels je répliquerai toutefois un écho.
Glénat, en tout cas durant cette période éditoriale de la décennie du début des années quatre-vingt-dix, aura été le pendant livresque de AB Productions. Une entité analogue en ce sens où ils se saisissaient indistinctement de tous les mangas qui leur passaient sous la main, les traduisait avec l'intégrité des pires prévaricateurs, le tout sur une édition papier format papier-cul, en espérant en retirer un profit qui se serait voulu mathématique.
N'étant pas particulièrement rompu aux sciences du profit entrepreneurial, je puis néanmoins me prévaloir d'une considérable expertise en foutage de gueule à force d'y avoir été éprouvé dans le milieu de l'édition manga. Sur le tard, Glénat se sera montré plus prudent. Ils auront opéré un choix, une sélection, avant de nous importer des mangas, cette fois, avec une reliure convenable.
Je m'en vais briser les illusions - entre autres choses - de tous ceux qui, par nostalgie stupide, auraient pu porter aux nues cette maison d'édition. Si j'ai bien peu de reproches à administrer à ses concurrents, Glénat porte sur elle les stigmates du profit à tout prix. Ils n'ont pas commencé à éditer des mangas parce qu'ils croyaient en leur qualité, mais parce qu'ils couraient après les neuneus du Club Dorothée pour finir de leur faire les poches. C'est ainsi qu'aura commencé leur remarquable incursion éditoriale dans le milieu du manga. Autant vous dire que le respect n'était pas à l'ordre du jour à cette époque.


Et cette époque, avec Noritaka, le Roi de la Baston, on y patauge jusqu'à la gorge. Naturellement, j'étais en droit de m'attendre au pire. Soyons francs, je n'avais pas défloré l'œuvre que la guillotine se trouvait prête à l'emploi avant même que je n'ai à prononcer mon jugement. Mon côté jacobin sans doute. Modéré cela dit.
D'autant plus modéré que, sans avoir été très vite emballé par ce que j'ai lu, je me suis progressivement rendu compte de mon erreur. Une fois de plus, je dissipe vos illusions ; ce n'est pas le Shônen du siècle ni même la référence absolue en manga de baston sportive, mais c'est quelque chose. Et, au point où j'en suis, «quelque chose», c'est déjà plus que je ne puis en espérer habituellement.


Noritaka, le Roi de la Baston, on en prend connaissance prudemment. D'entrée de jeu, les grosses ficelles de la mise en scène sont si poisseuses qu'on les prendrait pour les filaments d'une toile d'araignée dans laquelle nous ne mourons pas nécessairement d'envie de nous y engluer. À commencer par les expressions faciales et plus particulièrement celles de Noritaka, on ne peut s'épargner la réflexions suivantes : «Diable que tout cela renâcle les années Shônen quatre-vingt-dix». Les gueules d'émoticône pleuvent en continu ; c'est un de ces mangas où les grimaces crispées de visages distordus à l'extrême sont légion. Les années quatre-vingt-dix je vous dis, ces années dont les dessins rappellent l'époque bénie - bien que trop fantasmée par mes soins - de Shônens parfois... même souvent bas-de-plafond qui charment malgré tout et auxquels on ne peut pas ne pas s'y attacher, ne serait-ce qu'en partie mais en partie seulement.
En ce temps là, dans l'édition Shônen, on faisait quelque chose à partir de rien. L'inverse de la période actuelle en somme. C'était pas toujours mieux avant, qu'on se le dise, mais dans l'ensemble, on peut dire que même si les dessins correspondaient plus ou moins tous à un certain formatage, force est de constater que ce dernier était infiniment préférable à l'actuel, lui, infiniment plus aseptisé et dépourvu du moindre supplément d'âme. Et là, me direz-vous, pour que certains aient un supplément d'âme, encore eut-il fallu qu'ils aient une âme en premier lieu. À cette remarque désobligeante, je ne répondrai pas. Mon intégrité de critique-manga m'astreint à l'impartialité. Cependant... vous ne pourrez pas manquer de remarquer le petit sourire en coin venu tordre ma gueule de charognard. Un sourire que d'aucuns pourraient considérer comme approbateur.


Signe des temps qui changent, les dessins de Takashi Hamori péricliteront volume après volume, ce qui ne rendra que plus probant le poids de la lassitude ressenti par ses auteurs. Déjà que leurs personnages féminins se ressemblaient déjà toutes...
L'effondrement s'effectuera autant sur le fond que la forme ; comme pour le Titanic, il n'y aura rien à sauver alors que notre embarcation sombrera lentement. L'amour dure cinq ans dit-on, Noritaka, le Roi de la Baston, lui, aurait gagné à ne pas se prolonger au-delà du cinquième volume. Au-delà, ce qui suit ne fera jamais que ternir ce qui aura précédé sur tous les points. J'admets qu'on ne tombe pas nécessairement de très haut, mais même à dix centimètres du sol, ça n'est jamais agréable de se rétamer. De ce Shônen-ci, je n'en attendais pas grand chose mais l'entame m'en aura toutefois fait espérer quelque chose. Les faux espoirs me minent plus encore que les foirades intégrales ; mon acrimonie, cette fois, aura quelques arrière-goûts de déception. On n'est trahi que par ceux à qui l'on a un jour fait confiance et, même si j'ai vu les loupés de loin, le coup de poignard dans le dos m'aura au moins chatouillé l'échine. Et pas comme j'aime.


Mais il est de bon ton, je le pense, de mentionner l'ascension avant d'évoquer le déclin.
Noritaka, le Roi de la Baston, ça commence comme un Slam Dunk. Une référence universelle en matière de Shônen sportif. Vous aurez donc naturellement droit au héros gaffeur qui s'orientera vers un sport à cause d'une nana sur laquelle il a quelques vues.
Passé le festival des grimaces - elles n'auront jamais été aussi présentes dans un Shônen - il était permis de redouter ne serait-ce qu'un semblant d'amateurisme dans le traitement graphique des rencontres sportives. Alors que je ne pensais pas le dessinateur à la hauteur de ce qu'il avait vocation à nous délivrer, j'ai été violemment pris de revers. Les impacts de chaque coup sont fulgurants et la violence superbement retranscrite, sans fausse note et sans trop d'exagération. Du moins, dans un premier temps.
Le rendu du travail sur l'anatomie est plutôt recherché pour un dessin de Shônen et, encore une fois, je me permets d'insister, on ne se serait jamais attendu à quoi que ce soit d'aussi travaillé dans un manga qui se présentait comme bien moins audacieux. Ne vous fiez pas à un livre à sa couverture et encore moins à la jaquette d'un manga, Noritaka, le Roi de la Baston, c'est un travail de professionnel qui - j'ose l'écrire - tutoie même par moments ce que George Morikawa aura su nous faire parvenir. Toutes proportions gardées. De... très larges proportions, je l'admets.
Voilà un puits de talent dans lequel bon nombre d'auteurs de Shônen gagneraient à y puiser leur source d'inspiration pour ce qui est du rendu scénographique et artistique de leurs combats.


Qu'on se le dise, l'entrée en matière, au milieu des clowneries, ne pisse pas bien loin. «Je veux devenir fort» clamera le personnage principal à son sensei excentrique dans leur ruine de dojo. Rocky est passé par là, Ashita no Joe l'avait devancé de peu, depuis, tout le monde sait bien que les meilleurs gymnases sont les plus délabrés et les meilleurs entraîneurs, les plus pauvres et roublards. Les grosses ficelles écrivais-je plus tôt, si grosses qu'on peut s'en servir de corde pour le ring.
Le moins qu'on puisse dire est que, malgré le classicisme et l'exubérance si excessive de ce qui parsème l'œuvre, elle donne envie d'être lue. Il y a pourtant tout pour rendre la lecture rebutante, mais ce tout est remanié ce qu'il faut pour devenir intéressant. Une sorte de prise de judo de la mise en scène qui se sera saisi du pire du genre pour le retourner à son avantage.
Pour ce qui est de la narration en revanche... là encore, les ficelles sont grosses. On peut même parler de câbles à ce point. Vous me direz que c'est de circonstance quand l'affaire se déroule le plus souvent au milieu d'un ring, mais là, ça dépasse de trop, on se prend les pieds dedans. J'en veux pour illustration de circonstance l'histoire du caïd qui drague la fille sur laquelle Noritaka aura jeté son dévolu. Il est parvenu à la séduire mais, non content d'une bête idylle, méchant qu'il est, il cherche à tout prix à lui faire son affaire dans un Love Hotel. Le mâle alpha est un fumier là où le beta est un type bien sous toutes coutures. Les coutures de ses gants de boxe, j'entends. Que croyez-vous qu'il se passa ensuite ? Noritaka sauva évidemment la demoiselle en détresse. Et il le refera encore. ET ENCORE ! Une demoiselle qui, bien entendu, s'avère être une potiche souriante avec un bonnet B, car quand on ne sait pas écrire un personnage féminin, il est de coutume au Japon de la pourvoir de plus gros nibards. Ne pas avoir de talent en la matière n'est pas une fatalité aussi longtemps que certains seront capables de dessiner deux cercles de même taille.

Et de ces exemples sortis du même tonneau mité, Noritaka, le roi de la baston en est truffé jusqu'au trognon. Je mentirais si je disais que j'en avais attendu davantage ; ce n'est pas pour autant que je ne suis pas navré


Mais le plat de résistance sauve l'entrée et le dessert. Qu'attends-t-on au juste d'un manga sur l'apprentissage de la boxe Thaï ? Je ne pense pas me fourvoyer en présentant comme réponse «de l'apprentissage» et «de la boxe Thaï». C'est l'essentiel. Et l'essentiel, même si Noritaka, le Roi de la Baston ne se borne qu'à ça, il l'assume responsablement et, au final, c'est ce qui importe. Ce qui importait tout du moins, avant que l'affaire ne se poursuive un peu trop longtemps jusqu'à percuter une succession d'icebergs.
Dans ce manga sportif, l'apprentissage y est très progressif sans jamais qu'on n'ait à se plaindre de la lenteur. Pour moi qui aime qu'un protagoniste évolue lentement, la narration relevait ici de la délicatesse de fin gourmet. Les entraînements ne sont pas nécessairement innovants mais en tout cas admirablement bien amenés. C'est un manga d'arts-martiaux après tout, il n'y a pas de recette miracle pour progresser, mais celles concoctées ici mettent malgré tout l'eau à la bouche. La documentation sur le kick boxing et la boxe Thaï n'auront en tout cas pas été superficielles, on sent le poids des recherches derrière.


Pour ce qui est de la garniture de l'œuvre, l'humour est distillé à haute dose dans l'atmosphère. Il fait rarement mouche, mais frappe juste au moins une fois par volume en sachant jouer avec les stéréotypes du genre. Ce n'est pas ce qu'on retiendra du manga cependant.


Ce dont on se souviendra en revanche, ce sont des combats extrêmement bien pensés, pétris de finauderies où on sort souvent du champ académique de ce qui y est attendu sans pour autant digresser trop loin. Les confrontations sont longues mais fournies d'un remarquable panel de techniques avec des issues souvent originales, des entraînements qui, finalement, ne le sont pas moins. Ça en devient palpitant à chaque rencontre. On se renouvelle à chaque affrontement et c'est encore ça qui donne véritablement envie d'en lire davantage. Un petit - très petit - trésor de Shônen insoupçonné. Une minuscule pépite au milieu du torrent de merde que j'aurais écumé jusqu'à ce jour. Autant dire un souffle d'air frais au milieu des miasmes chiasseux
.
Surprenamment, on n'entre pas dans la logique des tournois sportifs. Le tournoi, c'est pourtant l'incontournable en la matière, surtout à l'époque. Noritaka défiera ici des sportifs d'autres disciplines jusqu'à même s'adonner au dojo-yaguri dans les lycées. Le concept a tout pour me plaire, à commencer par le fait qu'il sort des sentiers battus par rapport à ce que le genre propose habituellement de bien plus formaté. Mais retenez que l'amour dure cinq tomes... l'idée sera malheureusement abandonnée en cours de route pour bifurquer vers des palliatifs autrement plus extravagants et ridicules.


Ici, les personnages secondaires seront uniquement disposés en guise de tapisserie. Pas de réel développement en dehors des combats qui se succèdent ainsi que leurs préludes. L'enjeu de chaque combat perd cruellement en intérêt en ce sens où les adversaires n'ont rien à faire valoir sur le plan personnel au-delà du simple rang des arts-martiaux. La structure et la charpente de l'œuvre sont solides, mais ce qu'il y a par-dessus part en un coup de vent, exception faite de l'humour. Pour qui aime une histoire bien foutue avec des personnages marquants, Noritaka, le Roi de la Baston est un manga incomplet. Comme le sont la plupart des mangas sportifs par ailleurs. Les éléments déclencheurs d'un combat en devenir sont toujours les mêmes et reposent le plus souvent sur un quiproquos burlesque. Le schémas narratif est incroyablement répétitif :


Nouvel adversaire → provocation (malencontreuse) de Noritaka → défi → entraînement loufoque mais original et le plus souvent bien amené → rencontre → victoire de Noritaka.


Le théorème demeure invariable dix-huit tomes durant, c'est d'abord remarquable puis, très vite, agaçant au possible.


On commence un peu à voir les coups venir à compter de l'arrivée des Américains, puis du soviétique... Parce que sur la fin - et même dès le milieu - c'est plus un lycée dans lequel évolue Noritaka, c'est une ambassade où des transfuges d'Hokuto no Ken font la queue d'ici à ce qu'ils ne déterminent qui sera le prochain à s'esquinter contre Noritaka. La redondance suggère le sommeil comme un prévisible mouvement de balancier. L'absence de narration derrière l'œuvre gâte ce que le manga a à nous offrir.


La démesure entraînant immanquablement l'outrance, on se retrouve avec des golgotes bolchéviques capable de briser d'énormes rocs d'un coup de coude. Fini le réalisme. Pulvérisé même. La trajectoire initiale entreprise par le manga où l'art martial et la cohérence des coups portés sont amèrement regrettés dès lors. Que les auteurs n'ont-ils pas fait en optant pour cette voie de scénographie débilitante.
Mille praticiens émérites lycéens sortis des fourrés à chaque tome s'enchaînent, chaque nouveau venu éclipsant aussitôt le dernier. C'est usant à force. Quand on connait tous les artifices d'un illusionniste après les avoir vu mille fois le même tour, on n'a plus les yeux qui brillent devant un tour de magie. L'amour dure cinq ans et la qualité d'un Shônen qui n'évolue pas n'excède pas une année de parution.


Ce qui se voulait crédible et quelque part enchanteur relève, à partir de Ken Jackson, de la plus stricte déconnade nanardesque ; une descente en roues libres vers les enfers s'amorce alors, et à fond de train, je vous prie de le croire. L'histoire n'a pas prise une mauvaise direction à un moment donné puisqu'elle est restée fidèle à son très étriqué schéma narratif. Non, à la place, Noritaka, le Roi de la Baston aura pourri sur place et l'infection se sera aggravée d'un volume à un autre passé le tome six. Il y aura même un combat contre Sting.... le chanteur de Police. Est-il besoin d'en rajouter pour seulement situer l'envergure du problème de ce qui était à l'origine un manga sur les arts-martiaux lycéens et la pratique de dojo-yaburi ?


Un manga qui a tout pour lui - y compris la déchéance rapide - et à qui il ne manque finalement qu'une chose : une fin. Peut-être la faute à une annulation de parution ; ça me paraît l'hypothèse la plus vraisemblable. On clôture, on remballe et on part comme un voleur après une conclusion lapidaire en plein milieu d'un combat. On revit Yûyû Hakushô sans l'enchantement préalable. L'aubaine.


Finalement, en jugeant le manga à sa couverture, j'aurais eu raison dans le cadre de mon erreur. Sans envisager la forfaiture dans ces termes exacts, ma méfiance instinctive m'aura permis de deviner par avance que mon séjour ne serait pas des plus plaisants. Et pourtant, il le fut. En partie... et dans un premier temps seulement. Car, puisqu'avant que tout aille mal, tout allait forcément bien, la chute opérée par l'œuvre aura supposé qu'elle ait, au préalable, atteint quelques modestes sommets pour au moins se donner la peine tomber de haut.
De ce manga, s'il fallait en retenir une seule chose, c'est le talent pour la mise en scène des combats qui ne sont pas tant des confrontations sportives que des successions d'astuces roublardes au milieu d'un combat entre David et Goliath. Quelque chose qui sorte des sentiers battus et agréable à lire de surcroît. Cela, au moins, vaut la peine de la lecture et aura amplement justifié que je fasse l'impasse sur ce qui aura dégénéré au gré des volumes.

Josselin-B
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le 9 janv. 2021

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Josselin Bigaut

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