Avec un rythme effréné de 80 planches par an, Loisel et Tripp nous ont proposé neuf albums d’une chronique sociale croustillante et indéniablement réjouissante, qu’on aurait voulue éternelle. Mais toute bonne histoire a une fin, et le neuvième et dernier album de la série est sortie en octobre dernier. Alors qu’une page de la bande dessinée se tourne, il est bien difficile de dire au revoir à Marie, Serge, Réjean, Noël et les autres…


Scénario : La vie à Notre-Dame-des-Lacs se poursuit comme un long fleuve tranquille. Marie est en famille, les hommes sont revenus, Serge et Réjean préparent le baptême du « bateau de bouchon »… Loisel et Tripp ne bousculent pas la sérénité du village pour leurs dernières aventures, et ce n’est finalement pas plus mal. Car si l’apparente futilité des évènements a pu en décourager plus d’un depuis le début de la série, c’est un récit du quotidien, avec des hauts et des bas, et surtout des personnages incroyablement attachants. Les deux auteurs l’ont bien compris, et ont décidé de conclure cette histoire en beauté, où la douceur prédomine, avec un peu d’amertume, celle de quitter les habitants de Notre-Dame-des-Lacs définitivement.


Dessin : Dans l’histoire de la BD, le tandem Loisel-Tripp est unique en son genre. Les deux compères se partagent tout d’abord le scénario également, avec traductions des dialogues et expressions en un québécois terriblement délectables par Jimmy Beaulieu. Puis, Loisel effectue les crayonnés, rehaussés au feutre, avec moult détails. Mais l’alchimie prend toute son ampleur lorsque Tripp encre les planches tout en finesse d’une main de maître, rendant le style de Loisel à peine reconnaissable. Enfin, les planches jouissent d’une mise en couleur de qualité par François Lapierre. Une répartition du travail efficace pour un résultat incroyablement riche qui sublime le récit. La qualité des planches de la série n’a d’ailleurs d’égale que sa quantité, puisque l’histoire entière avoisine les 700 pages.


Pour : Une raison supplémentaire de la générosité des auteurs : le recueil de photographie à la fin de ce dernier album, pour prolonger le plaisir et pouvoir nous détacher des personnages moins brutalement. Cette série de case en sépia résume donc les cinq derniers albums de la série avant de se terminer huit ans après la dernière planche, comme si la fin de l’album n’avait pas été assez émouvante pour le lecteur !


Contre : Le seul reproche que l’on pourrait faire à cet album est finalement celui que l’on pourrait faire aux trois derniers albums de la série : cela manque d’éléments perturbateurs et de rebondissements inattendus. Tout le sel du troisième album résidait par exemple dans le conflit entre les hommes et les femmes, qui plongeait le lecteur dans le récit corps et âme. Ici, l’histoire est plus sereine tout en nous réservant son lot de surprise, quitte à en décevoir certains. Mais le plaisir de lecture est néanmoins intact, et c’est tout ce qui compte.


Pour conclure : Faisant parti de la sélection officielle d’Angoulême de 2015, ce dernier album de « Magasin Général » méritait très largement son prix de la série, qui fut finalement remit au dernier « Lastman ». Non pas que le manga français de Bastien Vivés ne le méritait pas, mais une fin de série aussi marquante que celle-ci aurait mérité une véritable consécration. Peut-être dans une exposition qui lui serait consacrée l’année prochaine ?

Marius_Jouanny
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le 7 févr. 2015

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Marius Jouanny

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