Il y a des comics qui s’imposent à vous de façon tout à fait fortuite. Il suffit d’une couverture détournée et charismatique de l’oncle Sam pour se laisser tenter. Ce qui va superbement bien avec le slogan de l’époque « I want you ! ». Et pourtant je n’avais jamais entendu de parlé d’Evil Empire, et encore moins de Max Bemis et Ransom Getty, l’équipe artistique du titre. Et heureusement que de telles couvertures existent pour éviter de nous faire passer à côté d’un tel titre.
Comment un avenir apocalyptique pourrait-il prendre sa source dans l’instant présent ?
Le peuple américain est en train de changer en son for intérieur. Et un unique acte déclenche un immense débat national sur la signification du bien et du mal. Reese Greenwood, star du hip-hop engagée, ne va pas rester sans rien faire, tandis que ses compatriotes se rangent du côté d’un fou sanguinaire. Mais jusqu’où peut-on aller au nom de ses convictions ? Max Bemis, leader du groupe de rock Say Anithing, explore un scénario catastrophe où la société moderne se transforme graduellement en Empire du Mal.
Sommes-nous proches du précipice en ce moment même ? N’allons-nous rien faire pour empêcher ce basculement ? Et s une part de nous-mêmes souhaitait ce bouleversement ?
Les récits d’anticipation nous décrivent généralement des dictatures déjà en place, où le héros a pour mission de ramener la paix et l’ordre. Max Bemis (Polarity) propose une expérience différente mais pas moins terrifiante avec l’aide de ses complices dessinateurs Ransom Getty et Andrea Mutti.
(Contient les épisodes #1 à 4)
A travers quelques flashbacks, nous découvrons à quoi pourrait ressembler notre futur dans vingt-cinq ans. Et autant le dire cela fait froid dans le dos ! Le monde devient un endroit de totale liberté ! Les gens font l’amour dans la rue, on tue pour un simple regard de travers, et si l’on vient aider quelqu’un en danger ou en train de se faire tabasser, la police nous abat froidement comme si de rien était ! Plutôt que de découvrir comment la situation peut-être améliorée, même si le sujet est abordée, un peu, dans ces courts flashbacks, le scénariste de cette histoire, Max Bemis, décide de nous ramener aux origines du mal, à l’instant T et ainsi découvrir comment nous en sommes arrivés là !
A notre époque, nous sommes en pleine élection présidentielle américaine. D’un côté un candidat conservateur, prônant la famille et la tradition en la personne de Kenneth Laramy et le jeune Sam Duggins à fond dans les réformes modernes et rêvant d’un virage inédit pour son pays. Ce dernier tombe sous le charme de la chanteuse Reese Greenwood. Une artiste qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui n’aime pas la politique et les menteurs qui la pratique, et qui à travers ses chansons n’hésite pas à dire tout haut, ce que la plupart pensent tout bas.
Mais le temps de la campagne est très court, en effet, la femme de Laramy est retrouvée morte, par leur fille, un couteau planté dans la nuque. La douleur et la tristesse frappe les Etats-Unis. La douleur avant l’effroi, lorsque Laramy, lors de la veillée funèbre, révèle être l’assassin de sa femme ! L’homme se retire naturellement de la course à la présidence mais lance un pavé dans la marre, prônant un droit à la liberté la plus totale qui soit. Être libre de tuer qui l’on veut, libre de se venger, libre de brûler tout et n’importe quoi !
Il n’en faut pas plus pour qu’une partie des Etats-Unis ne s’enflamme, le chaos se met à régner. Certains adorateurs de Laramy comprennent son message et laissent libre court à leurs envies. Les Etats-Unis ne se présentent-ils pas comme le pays des libertés ? Pourquoi ne pas aller au bout de cette idée ?
Un terrible complot se déroule sous nos yeux, et nous assistons horrifiés, impuissants, à un événement qui risque de bouleverser le monde…
Je dois bien avouer que j’ai été tout de suite séduit par le récit de Max Bemis. A travers son intrigue bluffante et pleine de nombreuses rebondissements (mon dieu ce cliffangher final !!!!), il nous amène, assez aisément, à réfléchir sur notre propre monde, notre propre façon de vivre. Difficile de ne pas voir là un petit pamphlet de notre société. A l’heure où toujours plus de personnes, et notamment des jeunes, se plaignent de la moindre contrainte, du moindre interdit, où chacun se croit unique et ayant le droit à tout, où on en veut toujours plus et plus vite, on se dit que c’est notre société qui voit, dans ce comics, son destin être tracé sur le sable. A nous, en nous responsabilisant, d’effacer ce futur et de nous en créer un autre. C’est bien connu, il suffit d’obtenir quelque chose, pour en vouloir plus, le syndrome « on te donne la main, tu veux le bras. » Avec une telle surenchère comment pouvoir affirmer un futur aussi dystopique. Enfin une dystopie pour nous, puisque les gens dans ce futur semblent plutôt prendre leur pied.
Si Max Bemis est une belle découverte au scénario, Ransom Getty, au dessin, l’est tout autant ! Si tout n’est pas exempt de défaut, notamment au niveau des faciès pas toujours très jolis, son style assez réaliste est plaisant à regarder, avec une bonne mise en page mêlant superposition, pleines pages saccadés en cases horizontales et idées originales. Le tout est très vivant, très expressif mais souffre à partir du dernier épisode de la présence, sans doute pour l’aider, d’Andrea Mutti dont le style n’a absolument rien à voir. Vraiment dommage.
Bref, Evil Empire est une superbe découverte. Un récit vraiment bien écrit, une intrigue qui pousse à réfléchir, et c’est toujours fantastique quand une œuvre, que ce soit un comics ou autre, force les gens à poser un regard perplexe sur notre façon de vivre. Max Bemis réussit à me surprendre et à me faire rager à la fin de ce tome, pressé de découvrir la suite !