Avec Obélix et Compagnie (1976), René Goscinny et Albert Uderzo signent une satire hilarante où la potion magique cède la place à une autre forme de pouvoir : celui de l’économie. Entre une critique mordante du capitalisme, une Obélix transformé en chef d’entreprise malgré lui, et une rivalité absurde avec les Romains, cet album est une pépite qui prouve que l’argent n’achète pas tout… surtout pas la paix chez les Gaulois.
L’histoire démarre lorsque Jules César, exaspéré par ses échecs répétés contre les irréductibles Gaulois, décide de changer de stratégie. Plutôt que d’envoyer ses légions, il missionne Caius Saugrenus, un jeune diplômé en sciences politiques et économiques, pour déstabiliser le village en introduisant le commerce. L’idée ? Convaincre Obélix de produire des menhirs en masse et provoquer ainsi une compétition destructrice entre les Gaulois. Ce qui suit est une plongée dans une économie gauloise aussi absurde qu’improbable.
Obélix est au centre de l’action dans cet album, et son personnage brille par son innocence et son enthousiasme naïf. Le voir endosser le rôle d’un entrepreneur mégalomane (avec un soupçon d’incompréhension de ses propres actions) est un régal comique. Ses relations avec Astérix, qui joue le rôle de l’ami critique et pragmatique, offrent des moments d’humour mais aussi de tensions, donnant un peu de profondeur au récit.
Caius Saugrenus, l’antagoniste, est une caricature parfaite de l’expert arrogant et déconnecté. Avec ses grandes idées sur l’économie et son mépris des Gaulois "primitifs", il est à la fois hilarant et irritant. Sa méthode, consistant à introduire la cupidité et l’ambition dans le village, provoque des situations absurdes qui tournent rapidement au chaos.
Visuellement, Uderzo s’amuse avec les scènes de production industrielle improvisée, les stocks de menhirs envahissant les camps romains, et les expressions faciales des Gaulois face à cette folie. Les détails, notamment dans les décors du village transformé par l’avidité, renforcent l’impact de la satire.
Les dialogues de Goscinny sont, comme toujours, brillants. Entre les quiproquos liés à l’économie (Obélix ne comprenant rien au concept d’offre et de demande) et les piques adressées au capitalisme et à la bureaucratie romaine, l’humour est à la fois accessible et intelligent. Les gags visuels et textuels s’enchaînent à un rythme effréné, rendant chaque page savoureuse.
Si l’album a un petit défaut, ce serait peut-être le manque de diversité dans les situations, la majeure partie de l’action se déroulant autour du village. Cependant, l’ingéniosité des gags et la richesse des interactions entre les personnages compensent largement cette limitation.
En résumé, Obélix et Compagnie est une aventure aussi drôle que pertinente, où Goscinny et Uderzo démontrent leur capacité à mélanger humour, critique sociale, et action. Obélix, magnat du menhir malgré lui, offre un des portraits les plus mémorables de la série, et le message sur les dérives du capitalisme reste étonnamment actuel. Un album à lire avec un menhir (ou un sanglier) sous le bras et un grand sourire sur les lèvres.