Après avoir imaginé des histoires de super-héros célèbres pendant des années (la Justice League et Green Arrow chez DC Comics, Hawkeye et Wolverine chez Marvel, pour ne citer qu'eux), Jeff Lemire s’est enfin attelé à son propre univers super-héroïque qu’il peaufinait en secret depuis des années. Mis en dessin par le Britannique Dean Ormston, ce premier tome de Black Hammer compile tout ce que l’on aime chez Lemire. La star canadienne des comics indés ne cesse de nous époustoufler avec ses ambiances étranges et poétiques, de Sweet Tooth à Descender.
Ça parle de quoi ?
Autrefois défenseurs émérites de Spiral City, une bande de super-héros se retrouve, à la suite d’une violente crise multidimensionnelle, contrainte de vivre dans une ferme isolée qu'on imagine plantée en plein Midwest. Contraints de taire leurs passés et leurs pouvoirs, ils ont reconstitué, aux yeux de l’extérieur, un semblant de famille, pourtant totalement dysfonctionnelle. Sans compter que la cohabitation au quotidien s’avère de plus en plus difficile entre Golden Gail, une jeune femme coincée dans le corps d’une gamine de neuf ans, Lady Dragonfly, une drôle de sorcière misanthrope, le colonel Weird, une sorte de vieil astronaute un poil sénile, Barbalien, un Martien qui ressemble un peu à Groot et Abraham Slam, le seul ancien super-héros à apprécier le calme et la tranquillité de cette nouvelle vie.
Pourquoi j'adore ?
Parce que c’est du pur Jeff Lemire ! Ceux qui connaissent quelques pans de l’œuvre du Canadien comprendront immédiatement de quoi on veut parler. Pour les autres (malheureux, mais il n’est jamais trop tard), on pourrait résumer les marottes, de celui que le magazine MacLean’s a surnommé le "Stephen King du comics", à l’enfance et la solitude, toujours saupoudrés d’une bonne dose de surréalisme à la manière d’un David Lynch, une de ses idoles.
Bourré de références, ce drôle de récit qui transcende le genre "comics de super-héros" apparait comme l'aboutissement dans l’œuvre fascinante de Lemire. Un récit très adulte et mature qui a pourtant germé il y a des années dans le cerveau du prolifique Canadien. Seule concession de sa part, pour enfin concrétiser le projet de sa vie, Lemire a finalement renoncé à le dessiner, pris par ailleurs sur beaucoup trop d'autres projets.
A la lecture de ce premier tome, on ne peut que se réjouir du choix de Dean Ormston pour mettre en dessin sa drôle d’histoire. Son trait fin ajoute de la fragilité à ces destins brisés. La preuve, Black Hammer a reçu cet été le prix Eisner de la meilleure série et (presque plus étonnant), l’album est dans la sélection officielle du prochain festival international de la BD d’Angoulême, dont le palmarès sera révélé le 27 janvier 2018.
Dernière raison de se réjouir, ce nouvel univers encore balbutiant pourrait bien être beaucoup plus étendu que ce qu’il nous laisse entrevoir. Son éditeur américain, Dark Horses, lui a d’ores et déjà prévu deux spin-off, Sherlock Frankenstein and the Legion of Evil (en cours de parution au Etats-Unis) et Doctor Star & the Kingdom of Lost Tomorrows. Quant au deuxième tome de Black Hammer, il paraitra en France le 2 janvier 2018. Certainement la meilleure façon de débuter l’année.
C’est pour vous si…
Vous êtes fan de Jeff Lemire. Et si vous ne connaissez pas encore ce prodige du comics indé, Black Hammer est certainement le meilleur ouvrage pour aborder son travail. Mieux, ce tout nouvel univers super-héroïque est une vraie aubaine pour les plus jeunes qui ne savent pas comment aborder l'histoire de Batman (racontée depuis 1939).
Critique publiée sur Pop Up' / Franceinfo