Les comédies romantiques passent et, parfois, ne se ressemblent pas. Dans cette optique, Otomen peut au choix être perçu comme l’expression ultime d’un genre entier tant il en reprend tous les poncifs, ou comme un détournement lui-aussi ultime puisqu’il applique ces mêmes poncifs aux mauvais protagonistes.
Otomen – contraction d’Otome (« jeune fille vierge » ou un truc dans le genre) et Men (« hommes ») – repose en effet sur des codes d’un classicisme achevé, et avec eux les qualités des shôjo qui savent les exploiter à leur avantage. En d’autres termes, c’est drôle, c’est mignon, et c’est touchant. Sauf que, et c’est là que cela devient original, la mangaka s’amuse comme une folle à inverser les rôles : la jeune fille qui aime les histoires à l’eau de rose et prépare des bentô avec amour est ici un kendoka cachant aux autres sa véritable personnalité, et le garçon fiable et loyale une lycéenne élevée par un policier veuf. Les deux sont des caricatures ambulantes, mais mélangées.
Et ça marche ! Non seulement, le couple principal est attendrissant – c’est le minimum que nous pourrions attendre d’une comédie romantique – mais surtout, ce titre est beaucoup plus drôle que la moyenne, profitant de nombres de fulgurances comiques, ou parodiant les situations habituelles du genre – qui hélas! ne parleront peut-être pas forcément aux néophytes – pour des résultats toujours étonnants. Et plus il sera demandé à nos héros de correspondre à leurs véritables stéréotypes, plus la situation risque de s’aggraver.
Surtout que, et c’est heureux, ce ne sont pas les seuls personnages détonnant qui assument de ne pas tout-à-fait répondre à ce que la société attend d’eux : entre un mangaka de shôjo, un fleuriste, deux musiciens mielleux, et un maquilleur, tous plus obsessionnels les uns que les autres, l’auteur nous propose un bestiaire tout simplement hilarant. Sans compter que le seul qui se voit comme un chantre de la virilité est aussi le plus frêle et le plus féminin du lot…
Le pire, c’est sans doute quand elle reprend les défauts des comédies romantiques, mais en les assumant pleinement ; par exemple, elle souligne quand elle commence à se focaliser sur les personnages secondaires, faute de pouvoir faire évoluer la relation du couple principal. Malheureusement, ce n’est pas parce qu’elle en a conscience que cela rend les passages concernés plus agréables ; ils sont tout-aussi frustrants que dans n’importe quel autre titre, même si les protagonistes eux-mêmes sont amusants. D’ailleurs, ce manga souffre de quelques coups de moins bien, en particulier au milieu de la série ; cela ne dure pas, mais c’est forcément décevant.
Dans le même ordre d’idée, elle sacrifie à l’archétype ultime de toutes les comédies romantiques : le dernier acte durant lequel le couple se sépare, pour mieux se réunir ensuite ; cette réunion devant apparaitre, en comparaison, comme une apothéose. Sauf que ce dernier acte est long, donnant lieu à un tome 17 déplaisant et laborieux – d’autant que nous savons que tout ce qui s’y déroule n’aura aucune conséquence – tandis que le tome 18 est une petite merveille, résumant à elle-seule toutes les qualités de la série.
En détournant les poncifs, et aussi étrange que cela puisse paraitre, Otomen ne garde presque que le meilleur. En effet, j’aurais tendance à reprocher à de trop nombreux shôjo – à plus forte raison les comédies romantiques – d’être sexistes, véhiculant des idées aussi arriérées que celle voulant que l’héroïne doit savoir cuisiner pour séduire l’homme de ses rêves. Là, au moins, aucun problème de fille se devant de devenir plus féminine pour remporter l’amour du héros. Non seulement cela fait du bien, mais cette technique ne présente que des avantages : c’est à la fois drôle et original.
Avec son concept qui change du tout-venant et ses personnages attachants, Otomen s’impose sans grande difficulté comme une des meilleures comédies romantiques sur le marché français. Toujours agréable à lire, souvent hilarante, il est toutefois conseillé de s’y atteler après avoir déjà lu quelques représentants du genre, afin d’apprécier encore plus son côté parodique et iconoclaste. Mais si c’est votre cas, il s’agit effectivement d’un immanquable.