Tout en Douceur, le Drame derrière les Insouciances de l’Enfance

Parus en intégrale dans la collection Long Courrier chez Dargaud, les deux superbes épisodes de Où le Regard ne Porte Pas… tiennent un long et dense récit en deux ambiances bien distinctes, séparées de plusieurs années. Dans le présent volume, c’est



l’insouciance infantile qui se confronte au drame



sous le soleil estival de l’Italie, et l’émerveillement ramène sans heurt le lecteur vers les libertés aventureuses de sa propre enfance : sur un scénario tendu et plaisamment efficace de Georges Abolin, l’artiste Olivier Pont livre une centaine de superbes planches, vives et colorées, qui ne peuvent qu’emballer, séduire et attendrir.


Dans une crique isolée du sud de l’Italie en 1902, un homme pêche à la nasse et remonte parmi ses prises un vieux caillou sculpté qui foudroie soudain sa fillette lorsqu’elle s’en empare. Quatre ans plus tard, à l’arrivée d’une famille anglaise venue s’installer là, la jeune fille est frappée du même malaise : tout comme deux garçons du village, le fils de ces nouveaux arrivants est né le même jour qu’elle, elle le sait parce qu’elle le ressent violemment.
Inévitablement les quatre enfants deviennent inséparables.
Puisqu’évidemment il ne s’agit pas que d’un tendre récit d’amitié aux couleurs nostalgiques, le scénario alterne le fil narratif principal avec de nombreux mystères en flashbacks séculaires de vies passées, et tisse, témoin d’une époque historique,



le conflit secondaire des adultes en toile de fond antithétique des insouciances du groupe de gosses :



le père du jeune anglais s’est installé là, sur le rivage de la mer, avec l’idée d’y développer la pêche industrielle au large, et immanquablement s’attire les foudres de la population locale qui n’y voit qu’une menace pour sa propre survie. Derrière les jeux des quatre enfants et derrière le partage de leurs rêves, les mécaniques sombres de la préservation méfiante font leur œuvre sans retenue.


Le dessin d’Olivier Pont est nerveux et rond, magnifique sous des ambiances chaudes et ensoleillées. L’ensemble propose



une certaine fraîcheur estivale



efficace à extirper le lecteur des léthargies hivernales, et la douceur du trait saisit dans l’instant la part d’enfant qui bat au cœur du lecteur. La nature, décor infini aux mille détails, y respire d’authenticité, bruisse autant de cette vie écrasée sous le soleil que des somnolences indolentes des repos mérités. Intelligemment, peut-être autant qu’inconsciemment, le trait s’affine au cours du récit et, à l’approche du drame final, devient plus sec, imperceptiblement plus anguleux : vient alors révéler avec une justesse aux allures négligées le relief intime des personnages.
Grand et admirable travail graphique !


Ce premier tome de Où le Regard ne Porte Pas… offre une incroyable et



magnifique douceur dans le drame de ces enfances brisées,



où la violence, retenue hors champ, ne laisse voir que ses sanglantes conséquences en abandonnant là le lecteur. Sur sa faim. Perdu entre le récit réaliste, soudain âpre, et la trame sous-jacente de l’œuvre qu’il ne peut encore entrevoir distinctement. Georges Abolin a l’écriture sereine et sait édifier l’essence de son récit en une structure aux apparences simples mais aux implications noires, aussi évidentes qu’elles cherchent à rester secrètes. Olivier Pont est alors le partenaire idéal pour l’aventure : son Italie respire le soleil et luit d’une enfantine insouciance estivale ; ses personnages, aussi jeunes ou âgés soient-ils, subliment cet abandon au présent, au plaisir immédiat et innocent, de l’enfance perdue, et le contraste des caractères, couleurs vives, pleines et denses, renforce profondément l’intensité des petits bonheurs sans lendemain, mais partagés, des quatre héros.
Cette première partie de Où le Regard ne Porte pas… est un drame fort, aussi intense émotionnellement que surprenant, amené avec toute la douceur nécessaire.



Une merveille de récit humble et ambitieux



qui pourrait se terminer là. Et pourtant…
Après le drame de clôture, une douce urgence nous appelle à plonger dans le second volume.

Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 22 mars 2017

Critique lue 214 fois

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