Une BD qui permet de mettre en lumière de nombreux aspects sur la manière dont le patriarcat au Maghreb, et plus particulièrement au Maroc, se manifeste et exerce un pouvoir avec violence (symboliquement, physiquement, socialement) sur les femmes.
De multiples dialogues sous la forme de témoignages illustrés mettent en scène le vécu de femmes différentes vivant dans une société misogyne, conservatrice, où culturellement sont ancrés des habitudes nourrissant les oppressions subies par les femmes. Tantôt nous apprendrons ce que peuvent vivre les femmes face à la (non-) découverte de leur sexualité dans un pays où il est interdit de vivre toute forme de vie sexuelle en dehors du mariage, et où le tabou sur la sexualité des femmes, et la pudeur, sont dominants. Tantôt l'on apprendra ce qu'elles peuvent endurer à cause du manque d'expérience et de leur silence, en parlant notamment des avortements, souvent clandestins, de la gestion des IST, etc. Tantôt il s'agira de s'intéresser au poids de la religion dans une société conservatrice cishétéronormée, et comment l'homophobie peut se manifester (en abordant la place du voile en société, plus particulièrement en public, et l'instrumentalisation du Coran pour justifier ces violences et l'existence du pouvoir patriarcal qui pèse sur les femmes en public comme en privé dans leur vie conjugale). Et tantôt, sera abordé le sujet de la prostitution qui est dissimulé et qui soulève d'autres questions sur le poids de la société sur les corps des TDS.
Les illustrations qui accompagnent ces récits aux perspectives différentes proposent des traits plutôt agréables, mais sans artifices. Disons que l'équilibre entre le texte et les images est présent, mais que visuellement il n'y a pas énormément de chose à dire, si ce n'est que certaines couleurs offrent une certaine atmosphère.
À présent parlons de certains éléments qui font hérisser le poil. L'expression "schizo" ou parler de schizophrénie et/ou de bipolarité pour faire comprendre qu'il s'agit d'une société avec des contradictions, où nait souvent l'ambivalence, en plus d'être des expressions psychophobes, elles renforcent les clichés qu'on a sur ces troubles/maladies. Rappel : la schizophrénie ce n'est pas un dédoublement de "personnalité", ceci est un mythe (il semblerait que l'on parle alors plutôt de TDI ou d'ATDS dans ce cas, pas de schizophrénie). Ces expressions sont ancrées encore dans notre langage, le souci étant que pour une BD aussi récente, même si elle fait parler des personnes qui tentent du mieux qu'iels peuvent de décrire leur vécu, il n'y a pas eu de reprise de la part des autrices pour prendre du recul sur cette manière de décrire l'état d'une Société (que l'on dit continuellement "malade" et c'est très agaçant quand tous les jours, et de partout, on utilise des noms de troubles, de maladies et de handicaps comme des synonymes de quelque chose de mal ou pour en faire des références de l'enfer sur terre). En bref : y en a marre de ces expressions de m*rde, et bien que beaucoup n'y prêtent aucune attention, cela ne reste pas moins agaçant pour les premier.e.s concerné.e.s qui doivent entendre ou lire ça. Encore.
Autre chose qui n'a pas été relevé : "les africaines" est une expression qui est utilisée à un moment pour parler... des femmes noires. Alors que bon, le Maroc, ce n'est pas en Europe. Petit héritage langagier colonial et occidental dont on aimerait se passer ou dépasser. C'est un détail qui apparaît sur une page de façon très brève, mais ce genre de propos négrophobe (comme si les femmes noires marocaines n'existaient pas) n'a pas été relevé. Pareil, il s'agit d'une BD récente, peut-être qu'il aurait encore fallu retirer ce genre de propos ou, au moins, le modifier... Ces éléments m'ont paru très gênants.
Cette BD permet d'aborder des sujets qui d'ordinaire peuvent ne pas parler à des personnes qui ne sont pas concernées, ou qui n'ont pas grandi dans un environnement culturellement proche des vécus racontés. Cela permet de donner une voix à ces femmes qu'on a tendance à trop oublier dans certains mouvements féministes, en pensant qu'il n'y a pas d'initiatives prises par ces femmes qui s'adaptent pour survivre, luttent à leur échelle et qui, comme de nombreuses personnes, veulent simplement vivre librement et s'épanouir.