Des magouilles politiques, des morts-vivants pas contents et … des nichons en acier.
Comme le laissait présager la lecture de Pourfendeurs de démons (DC112) (ainsi que la fin de Haut-Septentrion (DC110)), la branche Donjon Crépuscule sera centrée dorénavant non plus sur le tandem Roi-Poussière / Herbert, mais sur le couple Marvin Rouge / Zakûtu, nouveaux héros d’une ère nouvelle. C’est d’ailleurs principalement cette dernière qui est au centre de l’intrigue de cet album, Sfar et Trondheim ayant visiblement décidé d’en faire une héroïne à la Wonder Woman ou à la Supergirl, aussi douée pour la baston et pour dézinguer les gros méchants monstres à coups de fusils-nitro que pour gouverner habilement un duché au nez et à la barbe de ses adversaires politiques, tout en assumant parfaitement sa féminité. Passation est donc marqué par un côté « Girl Power » aussi amusant que rafraîchissant, et qui s’inscrit bien dans l’air du temps.
Nous retrouvons donc la princesse Zakûtu à la tête du duché de Vaucanson en lieu et place de son frère déchu Papsukal, à la demande de son père Herbert, ce dernier se sentant trop vieux pour gouverner. D’abord réticente, celle-ci accepte finalement pour soulager son père, en pensant qu’il lui faudra peu de temps pour remettre sur pieds le duché. C’était sans compter sur les manigances de son frère jaloux d’avoir été évincé, les coups bas de ses adversaires politiques siégeant au Conseil de la ville, la menace d’une invasion par les troupes de Clérembard, les coups fourrés menés par la pègre dirigée par le mystérieux Atlas et la menace incarnée par des hordes de morts-vivants belliqueuses vivant dans les entrailles de Vaucanson, et prêtes à surgir à la surface pour décimer toute la population … On retrouve les ingédients habituels du Donjon : humour décalé (Marvin Rouge est décidément toujours aussi idiot !), personnages farfelus, action épique et bagarres bien bourrines sont une nouvelle fois de la partie, pour notre plus grand plaisir. Cerise sur le gâteau, en plus de nous proposer une histoire entraînante qui tient en haleine jusqu’au bout, Trondheim et Sfar nous ont concocté un scénario qui fait avancer l’intrigue générale de la série de manière significative. Le seul reproche que l’on pourrait formuler à Passation serait peut-être d’être un peu trop calqué sur Les nouveaux centurions (DC105), où là aussi Zakûtu remplaçait son frère déchu à la tête du duché de Vaucanson et où, aidée par les centurions draconistes, elle tentait tant bien que mal de gouverner le duché en essayant d’esquiver les pièges tendus par Papsukal et par ses adversaires politiques, tandis que ses alliés Marvin Rouge et le Roi-Poussière crevaient d’ennui et n’avaient qu’une envie : quitter le duché et repartir parcourir le monde en quête d’aventures. Du coup, plusieurs séquences de Passation pêchent malheureusement par un certain manque d’originalité et ont des airs de déjà-vu. Ceci dit, je considère Les nouveaux centurions (DC105) comme l’un des meilleurs albums de la branche Donjon Crépuscule (voire comme l’un des meilleurs Donjon tout court), ce qui fait que la comparaison s’avère malgré tout flatteuse.
En parallèle, l’album nous apprend pas mal de choses pour le background du Donjon : on apprend pourquoi et comment Papsukal a été banni de Vaucanson et a hérité des biens et des pouvoirs du magique-useur Blaise Pilozzi dans Un héritage trompeur (DM17), on découvre les raisons qui ont poussé Herbert à prendre sa retraite et se retirer des affaires du monde dans Noces de fleur (DM18), la présence de morts-vivants dans les sous-sols de Vaucanson est expliquée par la présence de reliquats du Coffre aux Ames (cf. DZ9, DZ10, DM16 et DA+10 001) et on découvre les origines de l’Atlas, chef suprême de la pègre de Vaucanson que l’on reverra dans la sous-série Donjon Antipodes +. Sans parler de nombreuses autres petites allusions à d’autres albums de la série disséminées par-ci par-là qui feront le bonheur des fans. Bref, Sfar et Trondheim continuent d’assembler leur puzzle donjonesque avec brio, pour notre plus grand plaisir.
Graphiquement, le dessin fun et dynamique d’Obion colle bien à l’ambiance de ce tome, où l’action et les péripéties s’enchaînent sans temps mort. Ses représentations des hordes de morts-vivants agressives ou du duché de Vaucanson ravagé par la guerre avec l’Entité Noire (cf. Haut-Septentrion (DC110) et La fin du Donjon (DC111)) notamment valent le détour. En fin de compte, Passation est un album en tous points satisfaisant qui, même s’il présente quelques airs de déjà-vu, a le mérite de faire avancer l’histoire tout en expliquant pas mal de mystères relevés dans certains albums antérieurs. La suite des événements, qui devrait voir s’opposer Zakûtu et Papsukal dans un duel fratricide, promet d’envoyer du bois ! On attend déjà l’album suivant, Fin des négociations (DC114), avec impatience !