J'ai un souci avec la série Paul ; il n'y a pas de ligne directrice. On part par exemple sur l'idée que Paul part à la pêche (assez léger comme prétexte) pour fourrer ici et là des anecdotes rattachées ou non à cette activité via des souvenirs. Le plaisir de lecture vient de la sensibilité et la douceur avec laquelle les personnages sont décrits, dans les petites inventions visuelles pour exprimer nos petits excès, la justesse de l'ensemble. C'est déjà beaucoup, mais ce n'est pas assez.
À vrai dire, on finit par mélanger les histoires, certaines anecdotes pouvant aussi bien convenir à l'un qu'à l'autre volume dans le sens où elles ne conviennent véritablement à aucun. Paul, ça parle de tout et de n'importe quoi, chaque situation est prétexte à donner un avis sur les choses les plus diverses. La justesse de ces avis n'est pas forcément à remettre en question car elle participe à la réussite de la série, mais leur variété, leur côté régulièrement hors-sujet fait que la BD se disperse, partant parfois longtemps dans un sens pour revenir brutalement au sujet qui nous occupe, et qu'on avait oublié.
La faiblesse de l'auteur au fond, c'est d'attendre que sa vie s'organise de telle manière à lui fournir une bonne histoire cohérente, lui semblant incapable d'en créer une par lui-même, et relatant sa vie comme elle passe.
Mais quand je lis Paul à Québec, le dessin disparaît, je ne vois que son expression, la justesse des émotions exprimées, les personnages finement saisis, des petites inventions de rien pour rendre avec humour les petites choses de tous les jours.
La série souligne dans notre quotidien tout ce que nous voyons ou vivons mal, parce qu'on ne peut pas s'y attarder ou parce qu'on n'y fait pas attention sur le coup ; l'auteur lui les fige dans ses cases, ces moments précieux. Je ne lis pas Paul, je le vis. Mais il a fallu attendre cet album pour toucher à la grâce.
J'imagine que si l'auteur a de mon avis un vrai don pour raconter sa vie de manière romancée, il est probablement incapable d'invention au-delà d'une certaine limite. Aussi, au lieu de remanier suffisamment sa vie pour nous offrir une histoire plus consistante ou au moins un vrai fil rouge qui permettrait, comme dans Paul à Québec, de faire gagner à la BD une vraie profondeur au fil des pages, on reste souvent dans la légèreté, et les événements plus graves, comme déconnectés au milieu de ce gentil foutoir, semblent surgir de nulle part et ne s'inscrire dans rien.
Mais Paul à Québec échappe à cet écueil, il est le mieux structuré des albums que j'ai lu, tournant autour de la mort, avançant tranquillement vers un final où on touche Dieu du bout des yeux. Un chef d'oeuvre.