"Pardonnez mon intrusion mais je suis ici pour voir la princesse." En s’aventurant au plus profond de la forêt, le jeune prince Lou fait une rencontre désagréable. Il espère retrouver la plantureuse princesse Ronces, qu’il a rencontrée au même endroit quelques semaines auparavant. Mais à la place de la jeune femme, ce sont des créatures inquiétantes qui l’attendent. Et elles semblent bien décidées à lui faire la peau! D’ailleurs, l’une d’entre elles n’hésite pas à lui arracher un oeil d’un simple coup d’épée. Ronces avait pourtant demandé à Lou de revenir le voir au plus vite, après un agréable baiser visqueux et sucré à la fois, comme un beignet de limaces à la confiture. Hélas, elle semble s’être évaporée depuis lors, au plus grand dam du jeune homme. Au lieu d’avoir l’occasion de déclarer sa flamme à la princesse, Lou se retrouve embarqué dans un combat perdu d’avance. Heureusement, une corneille qui parle vient à sa rescousse. Après lui avoir fait traverser un gros buisson d’épines, elle mène l’intrépide garçon au château des insectes, un étrange édifice planté en plein coeur de la forêt, qui ne figure sur aucune carte. Lou n’y retrouve pas sa princesse, mais une petite vieille qui s’appelle Margot. Elle affirme être une fée, mais elle ressemble plutôt à une sorcière. Celle-ci décide alors de lui raconter la triste histoire de la princesse Ronces, fille unique du puissant Roi Lucane, seigneur des insectes et des animaux, et de Belle, la plus jolie fille du village voisin.
Il y a trois ans, le jeune auteur français Stéphane Fert avait marqué les esprits avec "Morgane", une adaptation très personnelle (et très réussie) de la légende arthurienne et des chevaliers de la Table ronde. A l’époque, il avait signé cet album en tandem avec le scénariste Simon Kansara. Aujourd’hui, Stéphane Fert a décidé de voler de ses propres ailes, puisque c’est tout seul comme un grand qu’il revisite un conte des frères Grimm dans "Peau de Mille Bêtes". Il en profite pour donner à ce récit datant du début du XIXe siècle un fameux coup de jeune, en y ajoutant une bonne dose de féminisme et d’humour, grâce notamment au personnage de la vraie fausse bonne fée Margot. Stéphane Fert ne perd pas le fil de son récit pour autant: grâce à une construction habile, faite de plusieurs détours et retours en arrière, il dévoile son intrigue par petites touches, en prenant le temps de ménager ses effets et en alternant des scènes légères avec des séquences beaucoup plus dramatiques. Mais au-delà de l’histoire, c’est surtout la dimension graphique de "Peau de Mille Bêtes" qui fait tout le sel de cette bande dessinée. Stéphane Fert a une patte bien à lui: ses planches sont très denses et pleines de matière, grâce notamment à l’utilisation de brosses aux tons bleutés et violets. On sent une véritable gourmandise dans sa manière de dessiner la forêt, les animaux, les monstres et bien sûr la princesse Ronces, qui est aussi séduisante qu’effrayante avec son physique callipyge et ses jambes qui ressemblent à celles d’une sculpture de Botero. Faussement enfantin, "Peau de Mille Bêtes" est un livre étonnant, qui revisite le conte de fées avec malice. Une BD noire et lumineuse à la fois.
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