Ce que je vais écrire là maintenant est probablement ignoble, infondé, injuste mais... c'est quand même une BD de bourgeois. C'est bien hein, encore que je suis déçu, mais même avec une meilleure structure, une meilleure fin, on peut dire que c'est de la BD bourgeoise (et je l'ai pensé très vite à ma lecture). J'ignore quel est le statut social de l'artiste, elle n'en parle pas et j'ose espérer que son atelier de travail qu'elle montre est celui de son école (cela semble se confirmer dans les références en fin d'album).


Pourquoi de la BD bourgeoise ? parce qu'elle interroge sans vraiment le faire sur la peine capitale, qu'il y a assez peu de recherche sur la question et que c'est clairement parce qu'elle n'a pas d'autres soucis dans sa vie qu'elle en parle. Accusation facile je le reconnais. Moi je dessine sur des branleurs. Mais je trouve ici son discours facile, pas très creusé, pas très intéressant car jamais vraiment remis en question. Elle lisse également les personnages : d'un côté le prisonnier super intelligent et sensible que l'on peine à croire coupable, de l'autre l'auteure qui décrit tous ses choix artistiques, se mettant ainsi au même niveau, se vendant (involontairement je pense) comme une génisse heu un génie pardon. Il y a par moment des tentatives de nuancer le propos comme lorsqu'elle décide d'enquêter sur la raison pour laquelle il est en prison, ou encore le moment où il fait une blague sur le fouet (mais fausse alerte, si vous pensiez comme moi qu'il s'agissait d'une blague sexuelle maladroite de sa part, non en fait c'est une blague intelligente), et puis à la fin où on apprend que le garçon a quand même ses humeurs et que parfois il répond de façon impersonnelle avec effet miroir (autrement dit : froidement, en mode je m'en fous de toi). Mais ces instants sont vite écarté pour nous rappeler combien il est sensible et combien notre auteure est géniale.


Le plus gênant c'est que l'auteure prenne autant de place, par ses dessins virtuoses (elle est trèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèès douée) qui empêchent parfois de se concentrer sur le fond, par ses textes aussi où elle met bien en avant son processus créatif ainsi que son ressenti. Le mieux aurait été d'opter pour l'humilité, comment ? En limitant le plus possible ses interventions, laissant ainsi le lecteur se faire ses propres opinions mais aussi en mettant sa maîtrise technique au service de l'histoire. Car si je suis époustouflé par les deux techniques qu'elle impose principalement, je reste perplexe quant au pourquoi, même si l'album est bizarrement homogène.


Le bouquin manque de structure aussi. L'auteure confie son ressenti dans l'ordre chronologique, mais ne nous apprend qu'à la fin que monsieur a ses humeurs ; pourquoi ne pas les avoir intégrés directement, ça aurait nuancé le propos, ça aurait créé du conflit, ça aurait même justifié que la persona de l'auteure prenne le dessus pour s'interroger, et là on aurait même pu voir un peu d'égoïsme en l'auteure au travers de sa frustration de ne pas avoir de vraie réponse à ses lettres. Parce que c'est ce qu'elle dit avoir ressenti, en d'autres termes, mais présenté comme dans l'album, ça donne juste l'impression qu'elle est une fille bien car elle a déjà fait un travail sur elle-même par rapport à sa frustration. Et donc voilà : lisse, lisse, lisse.


Malgré tout cela, je passais un bon moment durant cette lecture, avec en prime la satisfaction de voir une fin se profiler quand l'auteure a commencé à aborder la maladie du prisonnier. Sauf que non, en fait le bouquin s'arrête à un moment. Pourquoi pas à un autre, on ne le saura jamais. On lit en petit à la fin que le courrier ne peut plus être que digital, mais ça n'est pas une raison pour tout stopper au contraire, c'est un nouveau coup dur qu'on aurait aimé explorer. Si pas, pourquoi ne pas avoir arrêté le bouquin 100 pages avant ? Sans structure, sans objectif à atteindre, rien ne justifie une telle longueur, et les redondances font soudainement mal quand on arrive à la toute fin ; pire, on se demande pourquoi avoir parlé de sa maladie si ce n'est pas pour creuser davantage.


Le dessin de la dessinatrice est donc très bon. Quelques erreurs de temps en temps, mais globalement son dessin réaliste est maîtrisé, une prouesse pour une dessinatrice si jeune. Sa mise en page et son visuel en général regorge d'idées. Ses pages ne sont jamais surchargée. Le texte colle bien au récit.


Cette fois je vais parler de prétention. Encore une fois, c'est mesquin, injuste, lâche. Mais tant pis. Les auto-portraits de la dessinatrice sont beaucoup trop sérieux ; ça manque de vie, d'expression, ça donne un côté froid, intellectuel, sérieux et de tout cela un peu prétentieux. Cela est accentué par le fait qu'elle parle beaucoup de ses choix artistiques (et je reviens sur ce que j'ai déjà écris mais autrement : elle met au même niveau son combat artistique et le combat solitaire du prisonnier ; alors je sais qu'on souffre tous à son échelle et que comparer les douleurs et tristesses ça n'a aucun sens ; on peut être milliardaire et être encore plus malheureux qu'un petit gamin du tiers monde qui doit marcher 20 km pour boire deux verres d'eau ; n'empêche que là, mettre côte à côte ces deux combats, c'est un peu ridicule, pour moi elle mélange deux sujets qui n'ont rien à voir, même si elle semble assez isolée, autant que le prisonnier, quand on lit cette BD). Elle choisit bien ses poses, elle met en valeur son romantisme d'adulescente. C'est d'autant plus idiot, après un tout petit peu de recherche je découvre que l'auteure sait sourire, rire. Bon, elle pose dans des clichés de façon prétentieuse, mais quand même on découvre que cette jeune femme n'a pas de trouble autistique (on pourrait le penser à la lecture de l'album).


Et quid des dessins du prisonnier ? On en voit un ou deux durant la lecture, à la fin on apprend qu'il a envoyé plusieurs dessins ; pourquoi ne pas nous dire lesquels sont ses dessins s'il y en a plus que deux ? au final, j'ai l'impression que la collaboration du prisonnier est très limitée, pas seulement par la prison mais aussi par ce que l'auteure avait envie de raconter. Bon, je pense qu'il a dû lire tout le texte et que ça lui a plu, forcément, c'est un portrait très flatteur, mais je n'ai pas l'impression que sa collaboration ait été au-delà de ce que l'on trouve dans un documentaire, quand l'intervenant confie des choses au metteur en scène. Je trouve ça donc étrange de faire comme si la BD avait été réalisée à 4 mains.


Bref, le dessin est superbe, mais pas tellement au service de l'histoire (même si la gravure reste pertinente, disons que c'est le mélange des deux techniques que je ne comprends pas), le texte est trop lisse, met trop en avant l'auteure alors que c'est surtout la vie du prisonnier qui nous intéresse ou dans le cas d'une correspondance alors, il aurait été bien de nuancer davantage les deux protagonistes plutôt que de les lisser et en faire des être parfaits ; il manque également une fin pour justifier l'ampleur du projet. Enfin, je ne ressens pas assez la collaboration de Renaldo au-delà d'une simple interview pour un documentaire. Malgré tout cela, c'est un album qui se lit bien, juste que j'ai tiqué à certains moments pour les raisons invoquées plus haut. Et j'ai hâte de lire le prochain projet de cette auteure prometteuse.

Fatpooper
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le 31 juil. 2024

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