Claque monumentale, leçon d'humanité


Rarement j'aurais ouvert roman graphique aussi profond, aussi sincèrement bouleversant, à la passion aussi explicite et à la pudeur aussi louable. Valentine Cuny-Le Callet, qui raconte son engagement épistolaire avec un détenu américain dans le couloir de la mort, n'a que 19 ans lorsqu'elle commence cette relation à distance. 19 ans lorsqu'elle provoque ce geste d'une rare humanité. La maturité de cet engagement sans contrepartie m'impressionne déjà plus que je ne saurais le dire, mais il n'est rien face au don de soi que retranscrit le récit qu'en fait l'autrice, jusqu'à visiter à plusieurs reprises, à 6000km de chez elle, cet homme qu'elle ne connaît que pour ses lettres et ses dessins, jusqu'à lui abandonner la moitié de la parentalité de l'œuvre qu'elle publie. Cette grandeur d'âme me renvoie à ma propre lâcheté.


Mais cette amertume fugace, que je ne dois qu'à moi-même, est loin d'être le sentiment dominant à la lecture du roman graphique. Cuny-Le Callet se détache vite de la retranscription textuelle de ses échanges pour élargir son récit à la construction de celui-ci. Il y a là également une source d'admiration : faire le récit du récit lui-même, raconter l'élaboration de ce que l'on tient entre les mains, ses enjeux, ses périples, signant une boucle dont la longueur et la richesse de l’œuvre provoquent un vertige.


Laissez-moi aussi vous dire mon goût pour le splendide dessin de la jeune artiste et pour l'usage stupéfiant qu'elle en fait. Elle s'en sert à la fois pour restituer son récit auprès du lecteur, pour se raconter à Renaldo, et pour contourner la censure de la prison. Le dessin n'est plus seulement véhicule porteur de sens, il est sens, il est source d'enjeux propres, il est clé du dialogue.


Et quel dialogue. On a beau se préparer à être surpris par l'interlocuteur dans sa geôle, un jeune afro-américain qui n'a pas eu le temps de faire des études avant de partir en prison, on ne s'attend pas à un tel éveil aux arts, à la conscience, à une telle importance accordée au lien, à un tel soin, une telle attention à l'autre. Valentine et Renaldo agissent comme deux vases également remplis, qui se déversent l'un dans l'autre, source d'une alchimie relationnelle qui m'était jusqu'ici inconnue.


Qu'enfin vous soyez convaincu.e.s de la délicatesse avec laquelle l'autrice aborde ces sujets, celui du crime absurde, celui de la peine de mort, celui de l'innocence et de la culpabilité, celui des conditions carcérales, celui du racisme, celui de l'Art comme vecteur d'humanité. Tant de thèmes casse-gueule qu'elle aborde sans a priori, avec douceur, comme en effaçant son propre regard pour laisser au lecteur la responsabilité de son appropriation des choses. Être si peu juge est un défi que je n'ai jamais vu aussi bien relevé. Ce livre est une leçon de choses.

Fwankifaël
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le 27 avr. 2023

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