Et le voici donc l’album polémique de Bastien Vivès avec Melons de la colère, celui qui cristallise toutes les tensions autour du dessinateur et que certaines personnes ou organisations voudraient voir condamné.
En marge de sa production « sérieuse », proposant plusieurs romans graphiques ou projets récompensés par des prix ou adaptés sous différents formats, l’auteur a notamment publié plusieurs bandes dessinées érotiques. Rappelons qu’il n’y a rien de honteux là-dedans, sauf à considérer encore que la bédé est pour les enfants. Ce genre pour adultes responsables et éclairés profite ces dernières années de nouvelles inspirations qui l’éloignent même de la bande-dessinée masturbatoire tandis qu’une nouvelle offre s’adresse aussi à un public féminin. Citons ainsi ces dernières années les collections BD Cul chez les Requins Marteaux ou Porn’Pop chez Glénat, où Bastien Vivès a ainsi plongé sa plume.
Cependant Bastien Vivès a choisi de s’installer dans un créneau un plus transgressif, celui d’une représentation de la sexualité enfantine, où les rapports incestueux sont présents. Pour autant, faut-il vraiment crier à la pédopornographie comme certains ont voulu le faire ?
De mon point de vue, je ne mettrai pas ma torche au bûcher, et j’aimerais lâcher quelques seaux d’eau dessus. Pour le seul exemple de Petit Paul, l’auteur offre bien une fantaisie faussement enfantine, où Petit Paul qui est affublé d’un sexe énorme se retrouve bien malgré lui dans des situations sexuelles dont il ne se rend pas vraiment compte. C’est ainsi d’une grande naïveté du côté de l’enfant, dans un monde complètement improbable et exagéré où la sexualité se fait sans tabou. Toutes les relations sexuelles d’ailleurs ne passent pas par Petit Paul, les adultes étant même d’une grande fluidité sexuelle, sans frustrations et toujours dans un certain consentement à se donner du bien ensemble, y compris dans des pratiques complètement abracadabrantesque.
Précisons d’ailleurs que si les scènes érotiques sont nombreuses, il ne s’agit pas vraiment « d’une B.D. à vocation masturbatoire », comme l’indique Céline Tran en préface, ancienne actrice de films pornographique et depuis superviseuse de la collection. Bastien Vivès n’est pas dans la longue présentation des séquences les plus chaudes, il s’évertue à créer des histoires, des contextes, où le crescendo sexuel va progressivement sans aller à l’extase du lecteur, se réservant d’improbables situations pour avant tout l’emmener dans son monde et le surprendre avec le sourire. L’album est ainsi divisé en petites histoires, en petites saynètes saugrenues, mais dont la candeur de son personnage, la bienveillance de chacun et la douce folie sexuelle forgent de véritables petites pépites.
Bastien Vivès met en forme cette énergie avec une véritable gourmandise, aux compositions assez simples mais dont le trait souple et charnel est d’une grande expressivité, d’une grande réactivité. C’est aussi un artiste de la soustraction, à la simplicité élégance, qui peut ne dresser que quelques lignes pour assurer des silhouettes, mais dont le potentiel explosif peut se révéler à la case suivante.
Crier à la pédopornographie représentée peut sembler exagéré, prétendre qu’il banalise la pédocriminalité est ridicule. Petit Paul est bien une fantaisie comique et sexuelle, dont l’âge et la personnalité de l’enfant n’évoquent aucunement un appel au viol ou à l’exploitation sexuelle des mineurs. Une simple lecture avec un peu de recul permet de le voir, encore faut-il faire l’effort de le faire, plutôt que de relayer des polémiques un peu faciles, la protection de l’enfance étant une figure bien trop récurrente des argumentaires de censure. D’ailleurs, s’il fallait aborder le sujet avec un peu plus de crédibilité, d’autres bandes dessinées ont elles vraiment sexualisé la jeunesse, que ce soit du côté du Japon et de son complexe de Lolita ou d’autres œuvres érotiques occidentales. Mais ne donnons pas des idées pour occuper les censeurs.
Ce qui est reproché à Bastien Vivès dans ses œuvres est probablement exagéré, comme dans le cas de ce Petit Paul, mais il faut préciser que l’auteur a tout de même profité d’une certaine liberté de ton pour exprimer des idées mais aussi des attaques parfois violentes et que ses participations n’ont pas toujours été du meilleur goût. Sa page Wikipedia n’épargne pas certains détails des réactions et soutiens. Il ne s’agit pas de séparer l’homme de sa création, pour mieux dédouaner les responsables de leurs actes. Mais de veiller à ce qui constitue une œuvre et donc une part de notre culture soit jugée à sa juste mesure, de mon humble point de vue d’amateur de bande dessiné et curieux, et non pas fourrée dans un grand sac moralisateur et aveugle dès lors que certaines limites auraient été franchies.
Sur cette " affaire Vivès ", le principal intéressé s'est " défendu " avec un petit ouvrage en 2024, d'un humour grinçant mais aussi parfois maladroit.