Petite voleuse
6.8
Petite voleuse

Comics de Michael Cho (2014)

Corrina Park est une jeune femme d’origine asiatique (à l’image de l’auteur, né en Corée du sud et arrivé jeune au Canada avec ses parents). Elle travaille dans une agence de pub, quelque part dans une grande ville indéterminée d’Amérique du nord. Depuis 5 ans, elle s’en sort avec ce job alimentaire, succédané du métier d’écrivain qu’elle rêvait d’exercer. Visiblement, sa situation la déprime. Ainsi, elle s’est surprise à proposer en réunion quelque chose qui risque de lui nuire, à propos d’un énième produit à vanter, alors qui ne lui inspire que du mépris. Happée par ce monde obsédé par la rentabilité, elle s’est progressivement coupée de toute vie sociale satisfaisante, ne retournant plus voir ses amis de la fac et ne vivant plus que dans le milieu très artificiel de ses collègues. Vivant avec son chat (qui lui renvoie son mal-être), elle cherche un homme avec qui s’installer. Comme tout le monde, elle explore les sites de rencontres sur Internet, n’y trouvant que matière à perdre encore plus le moral. Un soir en boîte, le hasard lui accorde une discussion avec un homme qu’elle estime, un photographe avec qui elle comprend qu’elle peut se trouver sur la même longueur d’ondes. En effet, ils perçoivent de la même façon le monde dans lequel ils vivent. Cette rencontre peut-elle offrir à Corrina la porte de sortie qu’elle cherche maladroitement ?


Michael Cho livre avec cet album de 91 pages (Éditions Delcourt – 2014), une réflexion personnelle sur l’état du monde occidental. Il fait du personnage de Corrina une paumée moderne, qui s’en sort grâce à un emploi qui finit par la dégoûter. Même si elle écoute son supérieur tenter de lui montrer les choses de manière positive (en citant Khalil Gibran), elle n’en peut plus. Rouage anonyme du capitalisme sauvage et petite voleuse assez naïve (son acte de rébellion contre une société qu’elle ne supporte plus), Corrina est très probablement la projection sur papier de son auteur, illustrateur qui connaît bien les tenants et aboutissants des trajectoires individuelles dans nos sociétés occidentales. Son travail graphique dénote une vraie personnalité, à mon avis nettement plus intéressante que celle de son personnage. Car si Corrina cherche à s’épanouir dans un univers plus sain que le milieu urbain très dense qu’elle arpente généralement, on craint pour elle un cruel manque de talent et de personnalité : qu’a-t-elle à dire ? Malgré quelques maladresses (la façon de présenter la situation de Corrina par ses pensées), le talent de Michael Cho ressort bien ici. Son dessin est expressif, ses traits agréables, l’univers de la ville bien dépeint (il n’hésite pas à le faire respirer en proposant des vues de quartiers pleine planche). Par touches quasi impressionnistes, en évitant le superflu de détails trop fouillés, il dessine en noir, blanc et rose fuschia, assumant avec élégance un choix audacieux qui colle bien avec son envie de montrer comment un individu peut s’égarer et risquer de perdre son âme dans les méandres de la société capitaliste. Sans chercher une réflexion en profondeur, il s’attache à dépeindre les dégâts subis par quelques personnages, avec cette façon qu’a la majorité de suivre la tendance, que ce soit pertinent ou non. Il montre aussi comment certains profitent d’une situation dominante avantageuse, se moquant des principes de respect élémentaires. Le monde des médias n’est pas à son avantage ici. Michael Cho critique cet univers où tout peut se faire ou se défaire en quelques mots, bien sentis ou tristement révélateurs. Et, puisqu’il est ici question de slogans publicitaires, comment ne pas penser à celui de Paris-Match (« Le poids des mots, le choc des photos ») ? Il se rapproche tellement de ce qui fait le principe du medium BD.

Electron
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le 4 oct. 2019

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