Avec Phantom Blood (1986), Hirohiko Araki pose les bases de la saga JoJo’s Bizarre Adventure, une série qui finira par exploser toutes les limites de l’absurde et de la créativité… mais pas tout de suite. Ce premier volet est un peu comme une esquisse prometteuse : l’ambiance est là, le style commence à émerger, mais on sent qu’Araki cherche encore le bouton "full bizarre". En attendant, Phantom Blood nous offre une histoire classique mais musclée, avec des héros nobles, des méchants flamboyants et des poses dramatiques en veux-tu, en voilà.
L’histoire nous transporte dans l’Angleterre victorienne où Jonathan Joestar, le gentleman par excellence avec une mâchoire sculptée dans le marbre, voit son destin basculer à cause d’un intrus dans sa vie : Dio Brando. Ah, Dio. Rarement un méchant n’aura été aussi cruel, charismatique et hilarant en même temps. Dès le début, il s’installe comme la star du récit en piquant tout : le chien, l’héritage, et même la première place dans nos cœurs. Avec lui, tout devient personnel, dramatique et souvent totalement gratuit ("Je vais t’embrasser ta petite amie juste pour t’embêter !"). Puis vient la masque de pierre, qui transforme cette rivalité en apocalypse vampirique, parce que pourquoi pas.
Jonathan, de son côté, est un héros pur et droit comme une épée – tellement droit qu’il en devient presque naïf. Mais c’est aussi ce qui le rend attachant : il est le pilier moral face au chaos qu’incarne Dio. Il passe son temps à suer sang et eau (littéralement) pour sauver le monde et vaincre son "frère" démoniaque, un vrai modèle de vertu… et de muscles. Parce que oui, Phantom Blood, c’est aussi des combats où chaque coup semble déplacé par des catapultes invisibles et où les protagonistes passent leur temps à hurler leurs techniques. "SUNLIGHT YELLOW OVERDRIVE", ça claque mieux que "coup de poing", avouons-le.
Visuellement, Araki commence déjà à déployer son talent, mais son style, bien que prometteur, est encore en rodage. Les personnages sont caricaturalement gigantesques, les poses théâtrales frôlent le ridicule génial, et les visages changent parfois de forme d’une case à l’autre. Mais ce n’est pas grave, car chaque scène déborde d’une intensité dramatique qui pardonne tout. Le décor victorien, sombre et gothique, apporte une atmosphère unique à ce récit où les vampires côtoient des gentlemen aussi musclés que polis.
Le rythme, quant à lui, est à la fois sa plus grande force et son principal défaut. L’intrigue avance rapidement – parfois trop rapidement – avec des événements qui surgissent sans prévenir : "Oh, tiens, il y a des zombies maintenant" ou "Le mentor est arrivé et hop, il meurt déjà". On sent qu’Araki brûle d’impatience d’enchaîner les péripéties pour atteindre l’apothéose dramatique.
Mais ce qui fait le charme indéniable de Phantom Blood, c’est son ton. Tout est pris au sérieux avec une intensité si excessive que cela en devient délicieusement absurde. C’est un premier tome qui jette les bases de la saga JoJo, avec ses héros démesurés, ses méchants inoubliables et son goût pour les situations WTF assumées.
En résumé, Phantom Blood est un amuse-bouche musclé et théâtral qui dévoile les premières étincelles de la folie créative d’Hirohiko Araki. Si le récit reste encore assez classique, la présence magnétique de Dio, les combats spectaculaires et les dialogues criés à plein poumons donnent déjà un aperçu du grand cirque JoJo à venir. Un début prometteur qui hurle : "Muda Muda Muda !" avant de partir dans les étoiles.