Saṃsāra, embrasse-moi
Tezuka voyait dans Phénix son oeuvre finale, et il y a bien dans cet énorme enchevêtrement quelque chose de définitif. Son récit est un agrégat assez lâche de douze histoires qui n'en forment en...
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le 9 août 2016
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Tezuka voyait dans Phénix son oeuvre finale, et il y a bien dans cet énorme enchevêtrement quelque chose de définitif. Son récit est un agrégat assez lâche de douze histoires qui n'en forment en réalité qu'une seule, immense, qui s'étale sur plus de douze mille ans (voire plusieurs milliards d'années). Le fil conducteur de la quête pour le phénix, dont le sang confère l'immortalité à celui qui le boit, s'interrompt souvent pour que de très nombreuses sous-intrigues se forment, se rejoignent brièvement, puis se séparent à nouveau, dans une étrange danse narrative...
Tezuka était lui-même agnostique, mais il a adopté pour Phénix la cosmologie bouddhiste pour laquelle l'univers est un immense écheveau dans lequel chaque battement de cœur peut signifier, à l'autre bout de la galaxie, l'extinction d'une étoile. Toute chose émerge en conséquence d'une autre, tous les êtres sont liés entre eux, et cela se traduit par l'emploi de séries de réincarnations où les luttes d'un personnage deviendront celles d'un autre, et où un personnage secondaire à peine mentionné dans un tome deviendra personnage principal pour céder quelques heures plus tard sa place à un autre...
Tout pourrait rapidement devenir confus dans un récit aussi immense, mais un maître comme Tezuka réussit à tenir bien en main son histoire et à la mener non pas à une conclusion réussie (l'idée est que le récit de Phénix soit sans fin et sans but), mais à une série de brèves apothéoses chaque fois suivies d'une longue pause, pour que tout recommence. Il faudrait des décennies à des armées d'auteurs pour épuiser les thèmes que Tezuka ne fait qu'effleurer sans prétention, avec un recul et une expérience qui laissent pantois.
Il y a quelque chose d'étrangement noble dans la posture adoptée par Phénix. Ce qui est raconté est futile, et semble ridicule depuis la perspective de l'immortel phénix, mais pourtant jamais on ne voit de mépris ou de sarcasme dans le ton employé, tout au plus un simple soupir amusé à chaque défaite (les victoires ne sont pas fréquentes), et le chemin se déroule pour un nouveau récit. Tezuka non plus ne se prend pas trop au sérieux, et il interrompra à de nombreuses reprises son histoire aux moments critiques pour un gag peau de banane, un samouraï au téléphone ou un petit caméo...
Osamu Tezuka aurait pu passer son existence toute entière à raconter Phénix, et c'est ce qu'il a fait d'une certaine façon, puisqu'il est mort peu après la publication du dernier tome. S'il avait pu vivre pu longtemps, peut-être, au détour d'un Astro Boy aurait-on croisé le phénix dans le coin d'une planche, et on aurait songé aux milliers d'histoires qui se déroulent en silence... entre les cases.
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le 9 août 2016
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