(critique de la série complète, en VO)
Elijah Snow est un vieil aigri, de la même lignée que Jenny Sparks de Authority, un enfant du siècle passé, rendu immortel, et destiné à accomplir des actes extraordinaires au service de l'humanité. On le retrouve en 1999 dans un drive in paumé au milieu de désert, sirotant un café au gout de "merde qu'un chien aurait chié dedans". Il y a passé les dix dernières années, déçu du monde moderne. Cependant, contrairement à son habitude solitaire, Il à un rendez vous avec une personne venue lui proposer de rejoindre une mystérieuse organisation d'enquêteur, Planetary, spécialisée dans les situations paranormales et invraisemblables. Au terme d'une "première" aventure, il acceptera de les rejoindre et de mettre ses multiples talents au service de l'organisation contre de formidables ennemis et, plus particulièrement, les mystérieux "Four", un groupe de sur-humains qui ont bien l'intention de contrôler le monde en coulisses. Mais est-ce là leur seul but?
Après un récit inégal mais révolutionnaire sur Stormwatch et quelques numéros de Authority complétés par Mark Millar, Warren Ellis trouve enfin son oeuvre phare chez Wildstorm. C'est à dire qu'il n'a pas chômé l'ami Warren ces années là chez DC, d’enchaîner deux œuvres définitives comme Transmetrolopolitan et Planetary ! Et il y a mis le soin qu'il fallait, la publication originale se déroulant sur une décennie, a la manière de son personnage principal traversant les époques avec le même bagout qu'il semble avoir eu en développant son récit. Le dernier numéro, servant d'épilogue, a même mis (exactement) trois ans à être mis en vente.
Quand on voit le soin apporté à l'oeuvre, en particulier aux dessins magnifiques de John Cassaday, on comprends que ce laps de temps était tout sauf superficiel. Après quelques numéros terre à terre, Ellis et Cassaday nous entraînent vers des mondes fantasmagoriques, alliant tour à tour récit pulp revisité, un voyage spatial orchestré par Jules Vernes, une île abandonnée aux abords du Japon infestée de kaijus, ou un monde désert peuplé uniquement des microbes (à taille humaine) d'un être gigantesque laissé pour mort. Chaque aventure de l'organisation est parsemé de rencontres avec des personnages atypiques, parfois dangereux, comme un Yukio Mishima sous acides ou des anges inconscients envoyés par une espèce inconnue pour enregistrer des données sur l'univers. Elijah Snow, immortel centenaire aux pouvoirs de glace, est aidé de Jakita Wagner, combattante violente et impulsive servant de gros bras à l'équipe, et un informaticien (faute de meilleur mot) lunatique pouvant hacker l'existence même si il le souhaite, The Drummer. Cette équipe, en rajoutant le mystérieux Fourth Man et un homme tombé au combat peu avant l'arrivée de Elijah, semble être les seuls membres de l'organisation Planetary, représentée pourtant via d'énormes infrastructures à travers le monde, jusqu'aux endroits les plus improbables.
Aussi incroyables qu'inventives, les idées trouvées pour justifier le récit ne sont pourtant que des prétextes pour explorer l'histoire des comics au travers de personnifications ultra référencées qu'affrontent ou rallient l'équipe du Planetary, jusqu'à dans ses dernières pages. On peut penser que Warren Ellis veut développer un récit sarcastique sur les super héros (comme The Boys) et qu'il est un peu arrogant d'ériger les personnages qu'il a crée comme les soldats ultime pouvant les vaincre, mais ce n'est pas vraiment le cas. Il s'agit plutôt d'un regard personnel sur un panel de héros iconiques ayant dérivé de leur vocation première. Dans ce sens, on peut penser a son récit trop méconnu, Ruins (chez Marvel, antérieur à Planetary), qui présente un monde extrêmement pessimiste où l'univers Marvel à évolué de la pire façon possible, chaque personnage affrontant un destin soit absurde soit cruel. Ils sont le produit d'un univers où le merveilleux à, par un hasard de probabilité, laissé place à l'horreur.
De la même manière, les ennemis qu'affronte Elijah Snow les produits d'un univers qui aurait été corrompu, soit par le temps, soit par le pouvoir. Ralliant une maîtrise sur les deux, doublé par un intellect hors norme (mais loin d'être infaillible), notre personnage principal est le seul capable de les débusquer et les arrêter. Et ce ne serait pas étonnant que Warren Ellis se soit inspiré de son propre récit, étant donné son habitude de recycler puis améliorer ses œuvres mineures (le concept d'enfant du siècle étant déjà présents dans sa série Hellstorm chez Marvel, par exemple). Je dirais même qu'il réutilise les idées qu'il a développé et (pour moi) bâclé à la fin de Stormwatch volume 1 (la référence a The High est-elle anodine?), ce qui montre d'autant plus son intention de peaufiner des concepts qu'il a développé plus tôt via une série "définitive", éloignée des considérations d'univers partagé et de continuité.
Le comics offre donc un large éventail de référence qui, au lieu d'alourdir le récit, l'enrichissent en apportant un niveau de lecture supplémentaire pour le lecteur. Le gros défaut de ce procédé étant, évidemment, qu'il faut connaitre ces références, parfois un peu tordues et/ou datées. Mais je ne pense pas que ce soit primordial pour comprends le récit qui au final reste assez "simple" à appréhender si on garde bien chaque élément en tête. Il est parfaitement possible de le lire pour quelqu'un qui n'est pas spécialement fan du format et cela permet de synthétiser en une seule série l'essence des super héros, avec un regard critique sur leur iconisation. On sera surtout déçu de n'avoir eu au final que 27 numéros sur 10 ans (plus trois hors séries), et aucune nouvelle apparition de la plupart des personnages : la majorité des numéros étant des histoires indépendantes reliées par un fil rouge, le format de la série aurait pu être répété à l'infini.
Mais ce n'est qu'un mal pour un bien car ainsi, Planetary garde son statut définitif, intemporel, et ne souffre que peu de ses racines avec The Authority. Il n'y a aucun mauvais numéro. Il n'y a pas de fin bâclée par manque d'idée ou par le changement d'équipe créative (comme pour le Authority de Mark Millar). Les trous dans l'intrigues sont comblés par les non-dit qui ne sont pas nécessaires à la fluidité du récit. Quoi qu'il arrive, on est toujours subjugué par l'inventivité des dessins de John Cassaday (notamment les designs), la colorisation et les 40 idées géniales par numéro que Warren Ellis semble jeter sans logique sur le lecteur au moment ou il les trouve pour le surprendre. Mais ce n'est pas le cas, le dernier tiers du récit étant une introspection sur le personnage d'Elijah et ses actions au sein de l'organisation, où on assiste petit à petit au dénouement de l'intrigue et à son final qui sans être surprenant déjoue l'attente logique du lecteur.
Après cette série, Warren Ellis à réessayé de reproduire ce format, notamment dans les (très bonnes) séries Moon Knight et Karnak chez Marvel. Mais, il n'a pas réussi à dépasser les quelques numéros avant d'abandonner et laisser la main à quelqu'un d'autre (Karnak étant encore en cours au moment ou j'écris ce texte mais accusant de nombreux retards). Serait-il présomptueux de dire que Planetary à épuisé l'inventivité de Warren Ellis sur les récits épisodiques? N'ayant pas lu l'intégralité de son oeuvre récente, je ne veux rien avancer, mais cette idée ne m’étonnerai que peu...