Réveillez le petit renard qui est en vous…
"Et vous princesse, si vous avez un cœur, saurez-vous rendre le sien au petit renard qui attend de devenir un homme ? Et vous princesse, si je vous offre le mien, m’emmènerez-vous au pied de l’arc-en-ciel ? Et vous princesse, voudrez-vous bien me confier votre main, dites-moi ?" Le jour où le renard a compris qu’il n’était pas seul, il a aussi compris combien il était triste…
Lorsque Velotte, capricieuse future reine d’Ardel, offre à la jeune Auna un renard en guise d’intendant pour l’aider à entretenir le domaine familial, cette dernière ignore encore ce qui la liera à cet étrange petit renard qui redevient jeune homme de midi à minuit, tout comme le lecteur ignore que derrière ces apparences de comédie de transformation (typiquement japonaise), il s’apprête à ouvrir les pages d’une œuvre graphique et thématique majeure.
Un trait léger, élégant, naïf, esthétique, éminemment maîtrisé ; une narration enjouée, fluide (pour ne pas dire distanciée), conçue au fur et à mesure, un sens de la mise en scène expérimental, lyrique, sans équivalent à ce jour (si ce n’est, peut-être « Trèfle », dans un genre identique), un humour non-sense réjouissant, jouant sur la mise en abyme... Et au-delà : des personnages. D’une force, d’une intensité, d’une profondeur comme il en existe peu.
Une jeune noble ruinée résignée à attendre la mort, au cœur devenu pierre et qui a oublié ce que c’est qu’un sourire. Un jeune homme égoïste, vagabond, qui n’a jamais été aimé autant qu’il a aimé. Un magicien blasé pour qui donner la mort est aussi anodin que de la recevoir. Et d’autres encore, et d’autres toujours, qui se croisent dans un climat de bonne humeur autistique pour renoncer aux masques dès que la nuit s’étend et que les étoiles apparaissent. Tous ces personnages tragiques, meurtris, hantés par le passé, brisés jusqu’au fond de leur âme deviennent alors les pièces d’un même puzzle nostalgique et tentent de se soigner l’un l’autre, au prix de leur propre souffrance, sous les yeux d’un lecteur souffrant lui-même de les voir aussi vides et tellement « en attente » de l’autre. Tous deviennent peu à peu l’ombre de celui ou celle qu’ils ont choisi, se perdent dans l’amitié, l’amour, le dévouement, renient jusqu’à la valeur de leur vie pour se faire serviteurs prêts à se sacrifier pour un morceau de ciel... Le tout, avec cet humour si particulier qui touche au désespoir.
Poétique jusque dans les textes, profond, subtil, pesant… Introspectif et psychanalytique, troublant et abouti. Beau comme un jour de pluie entrecoupé de colonnes de soleil.
Seule la traduction pêche un peu et enlève en magie, sans pourtant parvenir à gâcher le tableau. Si vous êtes de ces personnages, si vous vous sentez tellement plein que tout vous parait vide, si au fond, tout au fond, vous n’êtes qu’un petit renard qui rêve de s’endormir au chaud dans les bras de quelqu’un aux yeux de qui il compte… Craquez pour Platina.
Vous ferez une cure de mélancolie à l’état pur.