Présents lors du dernier FIBD d'Angoulême Mari Yamazaki et Toi Miki nous proposent avec Pline une plongée dans la Rome antique des plus agréables. Enfilez votre toge, révisez votre latin et l'Histoire Naturelle pour suivre tranquillement Pline et sa pensée !
Pline : un érudit gourmand des fruits du savoir
Mon premier contact avec Gaius Plinius Secundus (Pline l'Ancien) doit remonter aux cours de latin du collège (à moins que je ne l'ai aussi croisé en cours d'histoire-géographie ?). Autant dire que ce n'est pas forcément un souvenir précis ni très agréable.
L'ayant croisé plus tard pour une critique des échanges commerciaux de l'empire romain ce personnage me donnait l'impression d'être un touche-à-tout, un esprit encyclopédique, la division du travail scientifique n'étant pas aussi développée qu'aujourd'hui. Cette impression se retrouve dans la lecture du manga où Pline évoque de nombreux sujets et ne semble pas (du moins ouvertement) hiérarchiser entre les savoirs "établis" et les récits plus ou moins inventés. Il est curieux, ouvert à tout. Tout ce que j'aime.
Un manga sur les temporalités
On critique actuellement le fait que nous n'avons plus le temps de faire tout ce que l'on souhaite, alors même que le temps libre augmente ! Á cet égard, Pline constitue une respiration salutaire. Notre héros n'aime pas être pressé, il veut prendre le temps d'observer, de se questionner face à la nature qui l'entoure.
On peut affirmer que Pline met à l'honneur la skholè, ce « temps libre et libéré des urgences du monde » (Pierre Bourdieu) qui permet à ceux qui en bénéficient de se consacrer pleinement à la réflexion et donc au développement des sciences. Sa position sociale lui permet cela : il est un notable impérial. Aussi même quand l'empereur Néron lui intime de revenir, Pline ne se presse pas. Ironiquement c'est ce qui finira par lui coûter la vie, lui qui désira observer l'éruption du Vésuve plutôt que de fuir. L'esprit scientifique a ses raisons...
Tous ne peuvent pourtant prétendre à la même liberté que Pline. Le manga met en évidence différentes temporalités renvoyant à différents modes d’organisation temporelle des champs d'activité. Il y a le temps lié au travail, à la famille (Pline a des propos édifiants sur les femmes...) et, surtout à la politique. On ne peut que noter l'opposition entre l'attitude de Pline et celle de Néron. Le temps politique repose, déjà, sur une forme d'instantanéité : face au tumulte des affaires intérieures et extérieures, il faut décider rapidement. Une situation qui ne semble pas rendre l'empereur heureux.
Rome : ton univers impitoyable ?
Néron constitue le second personnage principal du manga. Déjà quelque peu tyrannique, c'est un homme méfiant, inquiet, manipulé par sa deuxième épouse. Hanté par le fantôme de sa mère (qu'il a assassinée), désireux de se cultiver, admirant Pline tout en s'emportant contre lui on tient un personnage torturé, loin d'être caricatural.
Mais Rome ne se réduit pas à son empereur. Pline nous offre de très jolis décors qui participe d'une immersion réussie dans cet univers. Comme on ne sait pas grand chose sur la vie de Pline les auteurs peuvent composer leur propre histoire. De plus, le manga a aussi pour finalité de proposer des points de comparaison entre l'Italie et le Japon : manière d'affronter les catastrophes naturelles ; dans les deux cas nous avons des sociétés urbanisées, différenciées socialement où la corruption existe tout comme les rapports de force...
Pline est un manga à quatre mains (qui ne vivent pas au même endroit). Le résultat de cette collaboration est réussi et on prend plaisir à lire les entretiens de fin de volume (joliment intitulés "Le charivari et Tori et Mari"). Le récit proposé progresse par le point de vue d'un tiers, Euclès, scribe de Pline qui le suivait partout pour consigner ses paroles. Beaucoup de choses à noter pour lui et à traduire pour les traducteurs de la version française qui rendent une très belle copie.
"L'homme devient dieu pour l'homme en le secourant ; ce chemin est celui de la gloire éternelle." (Pline, l'Histoire Naturelle)
Avec de très belles couvertures cartonnées et un graphisme réussi, le manga nous montre un homme, Pline aka "le Mito Kômon de la Rome antique", qui veut prendre son temps, peu importe la vitesse à laquelle va le monde qui l'entoure. Il fait l'éloge d'une attention à tout ce qui nous entoure. La curiosité n'est pas un vilain défaut : iIl veut comprendre les énigmes posées par le monde. Une démarche qu'on ne peut que louer, aujourd'hui encore. Nous voilà compagnons de route de Pline, pour le meilleur !
Une version (joliment ?) illustrée de cet avis et un peu remaniée est disponible par ici.