Le dernier village gaulois : gardarem Plogoff !
Je n’étais pas encore né quand cette histoire a commencé. Mais je suis venu assez tôt à Plogoff, dans les années 1980, et j’y ai encore de la famille. L’intérêt de cette bande dessinée est surtout qu’elle retrace la victoire d’un mouvement populaire contre le lobby nucléaire, ce qui est suffisamment rare pour qu’on s’y intéresse de près.
En ce qui me concerne, même si j’ai été étranger, et pour cause, à cette lutte, Plogoff et ses environs, Audierne, le Cap Sizun, la Baie des Trépassés, ce sont pour moi des paysages et des souvenirs, et le dessinateur les transcrit bien. Evidemment, ça a changé, les villages se sont étalés, mais ce que l’on voit dans cet album est fidèle à ce que sont ces lieux aujourd’hui. Ce bout du monde qui fut le lieu d’un rude combat : pour ceux qui ne le savent pas, des irréductibles Bretons s’opposèrent pendant plusieurs années à l’installation d’une centrale nucléaire sur leur territoire, et ils finirent par gagner !
L’album se lit bien, on est au cœur du combat de ces gens qui n’étaient pas jusque là des militants, et notamment ces femmes qui s’activent alors que leurs maris sont en mer… On voit, certes très brièvement, les débats qui traversent le mouvement, le choc des cultures, entre les Bretons et les militants écolos venus les soutenir, la jonction avec d’autres mouvements, comme le Larzac. On nous décrit les modes de résistance, comme la création d’un Groupement foncier agricole (GFA) pour compliquer les expropriations, la construction d’une bergerie sur le site prévu de l’implantation de la centrale, etc. On nous montre les tensions, les affrontements, les lance-pierre contre les gaz lacrymo, les rondes de nuit des crs, le sentiment d’occupation, etc. Ca me rappelle les premiers albums d’Enki Bilal, dans lesquels des villageois des Landes et de Bretagne luttent contre l’armée ou des promoteurs. Ces bd son un poil trop tôt pour faire référence à Plogoff, mais on est en plein dans les combats du Larzac, et les problématiques sont les mêmes. Je vous conseille en passant ces albums de Bilal, La Croisière des oubliés, et Le Vaisseau de pierre, dans un style très différent de que cet auteur peut faire aujourd’hui.
Quelques critiques négatives toutefois, rapidement : on a des infos sur la couverture et le bandeau qu’on n’a pas dans la bd ; les dessins racontant ce qui se passe la nuit sont trop sombres (ça se passe la nuit, mais c’est quand même bien que le lecteur voie quelque chose !)
Pour terminer, notons encore une fois que ce genre d’album présente les limites de la formule : le récit est intéressant, mais terriblement frustrant car superficiel dans le fond, on n’a pas beaucoup de détails, on survole les événements, on aimerait tellement en savoir plus. Mais il ne faut pas oublier que l’exhaustivité n’est pas du tout un objectif dans ce genre d’album, le projet étant d’abord de rappeler une tranche de passé et ici, c’est assez efficace, les images parlent très bien, le récit est de chair, d’herbe et de granite, là où une monographie nous présentera tout ça platement. Bref, malgré ma frustration, malgré mon regret qu’on n’en apprenne pas un peu plus, cet album est dans l’ensemble une réussite, celle de nous rappeler joliment ce conflit, et cette victoire, trop rare.