Le Robot le Plus Fort du Monde (Critique tome par tome de "Pluto")

"Pluto 001" : Le Robot le Plus Fort du Monde


Projet conceptuel bien dans la "logique Urasawa" qui semble vouloir que toute histoire puisse être contée par différents protagonistes qui lui apporteront forcément un sens nouveau, "Pluto" retravaille donc un récit classique de Tezuka ("le robot le plus fort du monde", une aventure d'Astroboy) en le creusant de manière politique et psychologique à la fois. On retrouve immédiatement le "geste artistique" d'Urasawa, les ellipses qui court-circuitent systématiquement la violence en la laissant hors champ, les digressions morales ou émotionnelles qui offrent à chaque personnage, même le plus secondaire, l'opportunité d'exister dans toute sa complexité humaine (même s'il s'agit ici de robots...!), et ce sens très cinématographique d'un découpage très "thriller" qui fait toujours merveille. Belle introduction à cette saga datant quand même de 2003 (l'année de naissance d'Astroboy d'après Tezuka).


"Pluto 002" : où l'on retrouve le "grand" Urasawa...


Si le premier tome de Pluto m'avait intéressé, mais paru sensiblement moins audacieux et émotionnellement intense que le travail "habituel" d'Urasawa, le second volume rattrape largement le coup : entre la recréation vraiment charmante du personnage d'Astro, dont Urasawa rend magnifiquement l'innocence, l'idéalisme et les sensations à fleur de peau, et la politisation assez culottée du récit, travaillant agressivement le thème de la guerre en Irak et les mensonges de la Maison Blanche, voilà une histoire qui s'emballe superbement. On referme donc ce second volume avec un "Ouaouh" admiratif : pas de doute, même dans ce qui constitue une sorte d'exercice de style et de défi à la fois (se mesurer au génie de Tezuka en s'appropriant son matériau le plus emblématique), Urasawa fait la preuve de sa maîtrise parfaite du récit comme des émotions du lecteur. Je vais me précipiter sur la suite !


"Pluto 003" : prolifération de la fiction...


Le troisième volume de Pluto voit Urasawa quitter les sphères ambitieuses de la politique fiction, et commencer à faire "essaimer" son scénario dans une multitude de directions "instables", à la fois selon les règles désormais classiques du thriller, et selon les mécanismes de prolifération de la fiction qu'il a développé dans "Monster" ou mieux encore dans "20th Century Boys". Bien sûr, le lecteur sait désormais que la fascination de ce type de récit réside dans la beauté absurde de ces chemins généralement sans issue : Urasawa nous offre surtout l'opportunité de "baguenauder" avec ses personnages le long de leurs vies ou de leurs états mentaux, pour le pur plaisir de dégager des émotions intenses ou ténues, mais toujours précieuses - je pense ici par exemple au chapitre sur le robot sans cerveau qui donne la vie sans comprendre la "beauté" de son geste... On sait qu'on ne doit pas attendre de Urasawa une vision tautologique, bouclée et à la logique écrasante à la manière anglo-saxonne, mais bien au contraire une sorte de conte dont l'abstraction est dissimulée derrière le parfait réalisme du dessin : Pluto 3 remplit parfaitement ce contrat.


"Pluto 004" : légère déception...


Tome 4 : rebondissements, surprises, nouveaux personnages… Urasawa déploie ses habituels mécanismes narratifs, complexifiant à loisir son intrigue, reprenant fidèlement certains personnages-clé de la saga "Astro-Boy" (le professeur Ochanomizu, le professeur Tenma), tout en développant les axes nouveaux - plus "politique fiction", autour d'une sorte de conflit Irakien qui verrait le Saddam Hussein local fomenter sa vengeance posthume -, axes qu'il a visiblement imaginés pour installer "le Robot le Plus Fort du Monde" dans une réalité plus proche de la nôtre que le monde "utopique" de Tezuka. Si l'on ressent cependant une légère déception dans ce tome 4, c'est de par l'absence de ces moments véritablement magiques d'émotion qui distinguent les mangas d'Urasawa de ceux de ces concurrents, comme si le travail conceptuel à effectuer pour s'approprier sans la déflorer l'oeuvre de Tezuka le forçait à une sorte d'auto-censure. On peut donc craindre que, au final, "Pluto" ne soit pas au niveau de "Monster", ni bien sûr de "20th Century Boys"...


"Pluto 005" : Shakespearien ?


Le tome 5 de "Pluto" voit Urasawa se concentrer sur les aspects les plus psychologiques de son récit, lançant ses personnages à la recherche de sentiments extrêmes en eux - la haine pour l'inpecteur Gesicht, la tristesse pour la petite soeur d'Astro -, sentiments fondateurs de leur "humanité" (car bien entendu, ce sont des robots !). On peut trouver des accents "shakespeariens" aux différentes tragédies, souvent ultra-violentes, qui composent la trame de "Pluto", mais le talent suprême de Urasawa s'exprime avant tout dans sa maîtrise de la narration et sa science du "découpage", toujours très cinématographique. Le seul bémol que je mettrais, c'est que l'aspect franchement SF du monde de "Pluto" (l'héritage de l'histoire originelle de Tezuka) rend "Pluto" moins proche de nous, moins émotionnellement dévastateur que "20th Century Boys"... A moins qu'il ne s'agisse avant tout de la "distance" imposée par le rythme de parution des différents volumes : il faudra sans doute relire tout "Pluto" à la suite, une fois sa parution terminée, pour mieux le mettre en pespective au sein de l'oeuvre globale de Urasawa.


"Pluto 006" : Urasawissime !


Si les tomes précédents de "Pluto" m'avaient laissé un tantinet froid, voire sceptique quant à ce concept qui me semblait empêcher le "style Urasawa" de s'épanouir pleinement, peut-être par respect devant l'oeuvre écrasante de Tezuka, ce 6ème volume efface tous ces doutes : voici 200 pages que l'on peut qualifier de "urasawissimes", depuis la magnifique énigme - étourdissante - des tulipes de Sahad, jusqu'au mystère (à demi révélé, mais c'est suffisant) du péché originel de Gesicht, en passant par le suspense de l'attentat contre Hofman... Oui, tout est parfait ici, jusqu'à la conclusion, bouleversante, du voyage au Japon de Mme Gesicht et de sa rencontre avec Tenma. Extrême beauté et lisibilité du graphisme, science dans la construction narrative, complexité émotionnelle extrême, dignité dans la manière dont la violence est reléguée "hors champs", ou même désamorcée (on est loin des 60's de Tezuka, où érotisme et violence graphique étaient politiquement pertinents, et je comprends quant à moi les choix moraux de Urasawa de concentrer ses récits sur les dilemmes moraux et les choix éthiques de ses personnages), Urasawa prouve ici encore qu'il est bien un auteur majeur de notre siècle.


"Pluto 007" d'Urasawa: complexe, passionnant, puissant !


Alors qu'on se rapproche de la conclusion de cet étrange projet qu'est "Pluto", avec sa combinaison impossible de complexité thématique (politique, émotionnelle, voire spirituelle) et de fantaisie guerrière (un mariage clairement contre-nature, et n'en est que plus passionnant), on voit logiquement le scénario d'Arasawa se mettre a converger peu à peu vers la science-fiction enfantine de Tezuka : ce tome 7, à la narration parfois épineuse dans son traitement des flashbacks et des souvenirs, nous offre l'habituel mélange de sentimentalisme exacerbé (les enfants, comme toujours, bien sûr...), de thriller horrifique et de scènes de destruction massive, un mélange toujours magnifié par la beauté des idées graphiques d'Arasawa qui viennent se substituer au trait rond et parfait de Tezuka pour conter, au final, peu ou prou la même histoire. Une histoire d'innocence perdue du fait de la brutalité du monde (ambition individuelle, corruption du pouvoir politique, folie exterminatrice... On connaît la chanson), une histoire éternelle d'affrontement entre l'intelligence abstraite et la pureté du coeur. Des clichés - new age, pacifistes, écolos -, certes, mais revisités avec quelle imagination et quelle puissance !


"Pluto 008" : Pluto, c'est fini !


Le huitième et dernier volume de "Pluto" voit - sans que ce soit une vraie surprise, si ? - le retour d'Astro Boy, et du coup, un recentrage des thèmes et de la narration elle-même vers un style beaucoup plus "Tezukaïen" : menace de fin du monde apocalyptique, héroïsme du petit robot, combats cataclysmiques entre le Bien et le Mal, créateurs dépassés par leurs créatures, et final un tantinet lacrymogène et moraliste. Urasawa y rajoute son grain de sel nettement reconnaissable, cette paranoïa larvée et obscure qui élevait "20th Century Boys" vers le firmament de l'histoire de la BD, par exemple dans les 8 dernières pages, cet épilogue "post-Tezuka" qui démontre peut-être mieux que tout ce qui a précédé le génie d'Urasawa. "Pluto", du fait de ce mélange de styles, logiques de par son concept d'hommage / actualisation, ne fera pas pour moi partie des meilleures oeuvres d'Urasawa, mais reste bien au-dessus du commun des oeuvres du 8ème Art.

EricDebarnot
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Créée

le 18 sept. 2014

Modifiée

le 19 sept. 2014

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Eric BBYoda

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