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Osamu Urasawa vous présente...

Y'en a qui ont pas peur, qui se permettent tout. Il y a ceux qui ne devraient pas et puis, ceux qui ont bien fait d'oser. Huit tomes plus tard, j'en déduis que Urasawa appartient fort heureusement à la seconde catégorie. Mais toute avisée - et culottée - fut sa décision de réadapter à sa sauce un classique de chez Tezuka, il n'y a pas lieu de lui signer un chèque en blanc pour consacrer l'ouvrage. Pluto, ça doit se lire, mais avec les yeux bien ouverts pour capter les faux-raccords ; l'œuvre est audacieuse, pas immaculée.


Jamais je n'avais lu Tetsuwan Atom (Astro le petit robo), je ne saurais pas conséquent juger de la fidélité de l'adaptation au regard de ses personnages et de son univers. Cependant, j'accorde toute ma confiance à Naoki Urasawa. Non pas que l'auteur, de par sa réputation et son palmarès, m'intime instinctivement au plus infini respect qui soit à son endroit, mais car je connais son amour débordant et même dégoulinant pour Osamu Tezuka. À constater ses tentatives perpétuelles à rendre hommage au maître comme il se doit au travers de ses œuvres, je devine chez lui un souci de bien faire.
Je présume, je pérore, je suppute, mais je jurerais qu'Urasawa fait absolument tout ce qui est en son pouvoir pour se présenter comme l'héritier putatif et incontestable d'Osamu Tezuka ; le dépositaire exclusif de son héritage artistique pourtant partagé par tous ses confrères. Il en fait du zèle le père Urasawa pour s'afficher comme le plus digne successeur du père du manga moderne.
Et pourquoi pas après tout ? Toute génération a droit à son ou à ses génies, pourquoi Urasawa n'en serait pas ?


Car il faut admettre que sa témérité aurait pu friser l'insolence pour peu qu'elle n'ait pas auparavant tutoyé la virtuosité. C'est la marque des génies me direz-vous. Reprendre un classique - une vache sacrée - du manga pour enfants et en faire un polar sombre et lancinant - marque de fabrique d'Urasawa - n'était pas un pari gagné d'avance et pourtant, Urasawa aura ramassé la mise, il faut lui accorder cela. Dans nos contrées, la démarche équivalente aurait consisté à faire une série noire depuis Tintin ou Astérix sans pour autant trahir le cœur de l'œuvre ; un numéro d'équilibriste antithétique où le lecteur ne saurait pardonner le moindre faux-pas. L'auteur aura peut-être quelque fois chancelé mais pas nécessairement terminé sa trajectoire dans les filets. C'est en tout cas sujet à débat au regard d'un dénouement en demi teinte - autre marque de fabrique de l'école Urasawa, une marque qui cette fois ne plaît pas à tout le monde.


J'aurais parfois - et c'était inévitable - trouvé la concordance des registres parfois douteuse. Un robot qui aurait épousé une femme robot : le concept passe comme une lettre à la poste dans un ouvrage destiné aux enfants tel que Tetsuwan Atom, mais s'astreindre à une approche plus adulte requiert en principe quelques ajustements. Puisqu'on rationalise ici un monde fantasque sans chercher à trahir, l'univers qui en découle soulèvera fatalement plus de questions que de réponses. Gesicht précise qu'on peut distinguer un robot d'un humain au fait qu'il ne commet aucune action dispensable, or, une conversation de loisir ou un mariage entre robots (ce qui n'engendrera rien) sont autant de caractéristiques dispensables contredisant le principe même du robot tel que défini dans l'œuvre.
Il est des point de l'œuvre originale sur lesquels Urasawa aurait dû faire l'impasse, négliger au profit d'autres qu'il aurait pu davantage exploiter. On peu le féliciter d'avoir été aussi entreprenant, mais pareille démarche vient avec son contre-coup ; on ne peut pas nécessairement réussir partout. Le travail d'adaptation dans ses présupposés se voulait déjà titanesque, mais se perdre dans certains de ses détails aura quelque peu compromis Pluto. Quelque peu seulement, mais quelque peu quand même.


Même en reprenant du Tezuka, Urasawa refait du Urasawa. C'est ce qu'on attend de lui ; on aurait toutefois pu espérer de sa part qu'il efface parfois sa méthodologie ou au moins qu'il en atténue certaines spécificités marquantes. Marquantes et visibles. Voyantes même... parfois tapageuses. Je parle du pathos. Sous sa plume, ce dernier s'exprime toujours furtivement, parfois plaisamment (monsieur Rosso dans Monster m'aura fait pleurer comme rarement) mais, bien que discret, reste tapis dans l'ombre de chaque trame. Ici, le pathos sera sorti du guet et n'aura pas même cherché à se cacher au point d'en devenir criard et vulgaire. On frôlait l'exhibitionnisme alors que, de pathos, Pluto n'était presque plus constitué que de ça. L'ambiance reposait dessus et les nombreux coups d'éclat larmoyants commençaient à se faire trop nombreux à un moment donné.
C'est certes subtil, maîtrisé et de bon aloi, mais ça se sent. Et quand le tire-larme est de circonstance, il stimule davantage ma fureur que mes glandes lacrymales. J'ai le procédé en horreur et Urasawa aura eu ici le mauvais sens d'en abuser copieusement.


Qui plus est, le pathos - qui a trait à l'émotion - s'oppose ici à la raison, chose pour le moins cocasse dans une œuvre qui s'emploie précisément à rationaliser le fantasque. Quand Duncan, le compositeur aveugle a raison sur toute la ligne quant au fait que les robots n'ont pas d'âme et donc pas de fibre créatrice et artistique valable, la narration tord la réalité à la seule fin de donner raison à Norse. Ce faisant, Norse - rattaché à l'idéologie des machines dotées d'âmes - s'en retrouve aussi grandi que son propos. Nous parlons là d'un procédé narratif simplement malhonnête et bourré de contradictions.
Pour une œuvre où la technologie est si prégnante, j'ai pourtant le sentiment que la pensée magique prend abusivement le pas sur la science. Sans doute est-ce le propos et serait-il mal avisé de le relever ; toutefois j'ai du mal à m'adonner au fantasque alors que tout dans le mise en scène cherche à faire pencher l'œuvre vers le réalisme. C'est une injonction paradoxale avec laquelle il est difficile composer.


Mais le pire de la mise en scène contraste et fraye sans peine avec le meilleur. La menace planante d'un Pluto qui agit mais ne se dévoile jamais est un petit bijou de scénographie. On peut dire bien des choses sur les histoires d'Urasawa, mais il est autrement plus corsé de revenir sur ses talents de conteur sans l'encenser. C'est un maître de la discipline et son polar n'est certainement pas un vague semblant d'intrigue accouché sur papier pour la forme ; le roman graphique qu'il déballe - malgré ses malfaçons - aura été écrit scrupuleusement et avec passion. Si parfois la passion l'emporte dans ses œuvres au point de l'emmener un peu trop loin au goût de lecteurs qui ne parviennent pas toujours à le suivre, personne ne pourra l'accuser d'avoir écrit Pluto pour une autre raison que l'amour du travail bien fait.


Cela ne l'empêchera pas de multiplier les travers. Le parallèle évident et même aveuglant entre le K.K.K et le K.R est tout bonnement insultant au regard de l'Histoire et de la logique la plus élémentaire qui soit. Mettre sur le même plan le racisme et les lynchages à la volonté de certains humains de ne pas octroyer davantage de droits à des circuits imprimés susceptibles de dominer l'humanité à terme ne me paraît pas relever du même plan. Sans doute suis-je un robotiste suprématiste, mais l'allégorie ici employée n'est pas pertinente pour un sou.
Mais Urasawa aime jouer les consciences humanistes indignées, on se souvient du K.K.K (encore) de Billy Bat ou des néo-nazis s'en prenant aux irréprochables Turcs (mais non, la narration n'est pas partiale voyons) dans Monster... ça doit d'ailleurs faire un certain temps que l'auteur n'a pas visité l'Allemagne et les États-Unis je pense ou alors, il a peut-être été frappé de cécité partielle couplée à des hallucinations au cours de ses récents séjours.
Au passage.... bravo à l'auteur pour avoir nommé le personnage au centre du racisme anti-robot «Adolf». Sait-on jamais, des fois que le parallèle ait été trop allusif pour le lecteur...
Les artistes et le sociétal... toute une histoire. Une histoire de merde ponctuée d'échecs critiques inévitables. Quand l'art cherche à avoir un propos politique, il se détourne de sa vocation artistique.
Urasawa était initialement parti d'une bonne et même d'une excellente idée pour la détourner en un fallacieux - néanmoins nuancé - pamphlet anti-raciste dont le sous-entendu n'a même pas le mérite de la sagacité.


L'enquête n'en reste pas moins haletante, minutieusement dévoilée qu'elle est de chapitre en chapitre. Aussi longtemps qu'on en reviendra à la mise en scène et au doigté narratif, Naoki Urasawa ne manquera jamais de démontrer qu'il est un maître du genre, toujours fidèle à sa réputation et ne déméritant jamais dans ses œuvres.
Cela dit et en dépit de ses nombreux et tortueux méandres, Pluto reste - dans les grandes lignes - une banale histoire pour enfant avec un grand méchant qui souhaite détruire le monde. C'est bien raconté avec en plus sont lot de morts marquantes, mais ça reste aussi simple que ça dans l'idée.


Aussi, j'ignore s'il s'agissait de clins d'œil à ses compositions précédentes, mais certains personnages ici ressemblaient étrangement - et trait pour trait - à ceux que nous avions déjà pu connaître dans les autres ouvrages signés Urasawa. Je pense notamment au directeur Ban qui se trouve être la copie conforme du professeur Leichwein de Monster.


La fin n'aura pas séduit tout le monde je pense. Il faut dire que le pourquoi du comment des derniers chapitres est nébuleux. Nous dirons «nébuleux» pour ne pas dire que l'auteur n'avait pas vraiment idée de ce qu'il faisait ou alors qu'il exprimait très mal ce qu'il avait à nous faire parvenir.
D'abord un sacrifice qui rappelle Inu Yashiki - jusque là, on suit - puis une conclusion entre les deux robots devenus conscients dont on ne sait trop pourquoi l'un tue l'autre. C'est curieux sans que ma curiosité n'ait pourtant été piqué au vif. Oui, disons-le, c'est décevant et ça se voudrait même un brin prétentieux. Pas de mal à ça après tout ; je connais peu de monde capable de prétendre reprendre une œuvre de Tezuka tout étant humble par nature.


Une conclusion verbeuse pour dissimuler les carences évidentes occasionnées par l'excès de prétention d'une trame qui ne savait plus trop de quoi elle pouvait bien parler ou même où elle allait. Même les plus zélés dévots de Naoki Urasawa vous le dirons, dans ses œuvres - à part Monster - la fin... c'est pas toujours ça.


Pluto était-il légendaire ? Non. Pas même mythique. Incournable, certainement ; le manga reste une œuvre audacieuse qui répond favorablement à bon nombre de ses promesses. Mais une bonne idée ne suffit pas. Urasawa - malgré son talent évident - n'a pas adapté du Tezuka, il se l'est ré-approprié au point de faire sien un monument qui ne lui appartenait pas.
Une lecture époustouflante m'aurait laissé des séquelles indépendamment du fait que je l'ai appréciée ou non. Pluto, lui, divertit plus qu'il ne marque les esprits.


J'admets qu'Urasawa est le digne successeur du Tezuka des années 1970 ; mais Tezuka, eut-il vécu jusqu'à présent qu'il aurait transcendé celui qu'il était alors. Urasawa est un continuateur, pas un héritier. Il aura toutefois été un des génies de sa génération, un génie prolixe comme son maître d'autrefois dont les ouvrages auront ravi une génération entière de lecteurs. Dans trente ans peut-être, quelqu'un lui rendra un hommage aussi conséquent que celui qu'il a alors administré avec Pluto - entre autres ouvrages. Dans cette course de relais sans fin qu'est l'évolution artistique, Naoki Urasawa aura hérité du témoin de ceux-là même qui l'avaient reçu du maître en personne ; viendra un jour où il le remettra à un auteur qui, à son tour, continuera le parcours que d'autres avant lui avaient commencé à tracer du bout de la plume pour le prolonger jusqu'à un horizon qu'on espère sans fin.

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le 7 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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