« Par des gamers pour des gamers » nous dit l’album.
Et effectivement, c’est le cas. Est-ce rassurant ?
(Spoilers de générique de fin : oui, si vous êtes un gamer, oui, si vous avez connu l’époque de la bédé, oui, si vous aimez bien l’humour un peu balourd)
L’ouvrage est édité par Pix’n Love, qui fut la première en 2007 à proposer toute une gamme de livres traitant du jeu vidéo par des spécialistes, faisant rentrer ce média un peu dévalorisé dans le paysage éditorial. Un gage de sérieux, grâce à des ouvrages documentés et passionnés.
Polygamer fait un petit pas de côté par rapport à ses petites camarades puisque il s’agit d’une bande-dessinée humoristique. Il plonge dans la culture du jeu vidéo des années 1990 à 2010, l’ouvrage datant de 2012. C’est l’(a bonne ? ) époque de la Wii et de ses manettes à détection de mouvements pour gesticuler devant l’écran, mais aussi des consoles qui frimaient sur leurs puissances pour les « grands » enfants, la Xbox et la PS3, sans oublier le PC.
Certaines références rappelleront certains souvenirs aux joueurs de ces années. Sont ainsi présents et utilisés comme base parodique les grands gaillards vidéoludiques de l’époque : Left 4 Dead, Bionic Commando, The Saboteur, Metro 2033, Heavy Rain, Bioshock, Alan Wake, Infamous et d’autres, qui n’ont parfois pas su garder leur place dans le coeur des joueurs jusqu’à nos jours. Des clins d’oeil plus anciens témoignent du lourd passif de joueur des auteurs, convoquant Streets of Rage, Shenmue ou Alex Kidd, qui n’avaient pas encore connu de suites ou de remakes et apparaissent ici comme de vieilles gloires (snif). Les jeux ici utilisés servent de gags qui sont parfois accessibles, mais qui se moquent ou pointent du doigt certains de leurs travers et il est préférable de les connaître.
D’autres planches semblent nourries d’expériences en multijoueur, que ce soit sur Halo ou Grand Theft Auto Liberty City Stories. Pour avoir joué aux mêmes genres de jeux en ligne, GTA Online ayant remplacé depuis longtemps Liberty City, il y a un vécu partagé assez amusant sur les parties entre amis, à faire les andouilles, se chambrer ou à foirer ses parties à causes de maladresses
Les auteurs sont des joueurs, c’est évident, avec le recul nécessaire pour ironiser sur certaines conventions du genre. Qu’il s’agisse de se cacher pour que la santé dans les FPS remonte toute seule, de l’absence des pieds des personnages dans les jeux en vue subjective, des barils explosifs disséminés dans les jeux et généralement près de grappes d’ennemis, des RPG tactiques où chacun doit attendre que les protagonistes agissent avant de pouvoir le faire, l’album offre quelques gags assez bien vus sur des clichés tellement habituels qu’on ne les remarque même plus, parfois toujours vivaces. Certaines conclusions amusent, si les personnages non-joueurs des RPG laissent les joueurs piller leurs maisons c’est qu’ils sont communistes. Une explication enfin acceptable.
Le jeu vidéo est parfois englué dans ses conventions mais reste un milieu qui a évolué, avec l’avènement de nouveaux héros ou l’oubli de gloires passées et les évolutions techniques ou éditoriales. Un autre bon gag le montre bien avec un personnage qui va dans les années 1990 et personne ne le croit quand il affirme que les jeux Sega seront jouables sur consoles Nintendo, que Microsoft fera des consoles, qu’on pourra jouer en ligne ou même sur des téléphones. Soyons honnêtes, si mon moi du futur avait rencontré mon moi du passé, je ne l’aurais pas cru non plus. On est tellement englué dans ses convictions quand on est minot alors que le média évolue sans nous.
Tout n’est pas de la plus grande nuance, attention, Polygamer fait un peu dans le con-con parfois beauf’. Une pleine page sur un décolleté plongeant offre un « interlude nichons », c’est gratuit. On s’amusera ou pas d’autres idées, à l’image de Rayman réinterprété en Raie main, et c’est la raie des fesses dont il est question, ou de cette page qui fait un parallèle osé entre les gens du voyage et les barrettes de mémoire, entre les roms et les ROM donc.
La bande-dessinée a d’ailleurs le petit culot de citer les jeux pointés du doigt et de représenter les personnages célèbres sans user de noms dérivés ou de versions dessinées légèrement ressemblantes. Il est peu probable que les ayants-droits auraient accepté si on leur avait demandé, mais cela participe à faire de la BD un album par des gamers pour les gamers, avec ses références de l’époque de sa sortie mais aussi d’amusantes plaisanteries sur les clichés et les travers des jeux vidéo. Contrairement à d’autres produits un peu fades qui ne servent qu’à soutirer de l’argent aux geeks (ou se les faire offrir par des personnes qui voulaient bien faire), Polygamer se révèle une agréable et délurée parodie de ce monde merveilleux et souvent idiot qu’il soit de pixels ou de polygones.