Après l’incommensurable succès de Walking Dead, Robert Kirkman a scénarisé quelques séries mettant en scène de nouveaux superhéros, créant là son propre univers d’humanité augmentée mais, si la curiosité pousse à y jeter un œil, la déception reste là, tapie dans l’ombre d’une série incroyablement maîtrisée autant dans le suspense qu’autour de l’humain : difficile de faire mieux quand on caresse la perfection sur autant de tomes. Alors voilà Outcast, nouvelle série annoncée de longue haleine et de grande envergure, nouvelle
série ambitieuse ancrée dans le réel
et s’axant autour des vérités de l’homme. Et ce premier tome pose avec l’art de développer l’intérêt du lecteur, les bases ombragées d’une longue narration à la fois lente et dense, dans laquelle on apprécie sans y penser de se laisser embarquer en à peine quelques pages. Dès les premières séquences.
Kyle, la trentaine avancée, est hanté de ses quelques
antécédents de violences aux réminiscences paranormales :
après avoir battu sa mère il y a longtemps, il a récemment battu sa femme, partie alors avec leur fille, et se retrouve seul, abandonné à lui-même et méprisé par l’ensemble d’une communauté juge. Pourtant, quand le pasteur local se heurte aux limites christiques d’un exorcisme qui repose sur les mots et les symboles plus que sur une pratique réfléchie, il n’hésite pas à contacter Kyle parce qu’il sait que celui-ci saura l’aider.
Le dessin de Paul Azaceta sert idéalement l’ambiance du récit :
un trait qui joue le graphisme américain des comics fifties, des couleurs qui se déploient en monochromes sépia, une ambiance sombre propice à la dissimulation mesurée de l’invisible pour laisser s’installer l’ambiance fantastique sans prendre le pas sur le polar. La forme visuelle soutient l’atmosphère du scénario, c’est plus qu’agréable :
un petit chef-d’œuvre graphique.
Bientôt l’impression générale de ce démon qui hante les âmes se fait cœur du texte : Kyle est doté d’un pouvoir encore vague mais qui confirme son appartenance à l’occulte, possédé sans qu’il n’en soit pleinement conscient, sans que cela ne nuise à son quotidien, comme une malédiction qui le définit et le place en écho de ces possessions, au service des bannis (outcasts).
Le scénario de Robert Kirkman retrouve ce que l’auteur fait le mieux : l’étude psycho-sociétale. Outcast explore les relations humaines dans une petite communauté anonyme des campagnes américaines, étudie
les interactions difficiles de la norme et de l’extraordinaire,
continue d’affirmer combien la société occidentale se méfie de ce qui ne se lisse pas dans son moule, de ce qui ne s’explique pas et ne se soumet pas au quotidien. Chapitre après chapitre, le récit dévoile tout doucement le passé de Kyle, nourri de violences condamnables pour lesquelles le personnage se hait, qui l’ont poussé à se retrancher du monde. L’intelligence de la narration de Robert Kirkman, comme dans les meilleurs épisodes de Walking Dead, apporte plus de questions après chaque ébauche de piste que de réponse, et creuse évidemment l’incessant sillon de la curiosité du lecteur. L’occulte, tel les morts-vivants pour Walking Dead, n’est que le prétexte, un élément caractérisant du contexte qui permet d’éclairer plus justement, de manière plus acérée, les motivations des personnages.
Premier tome maîtrisé de bout en bout, Possession nous plonge sans brusquerie dans l’univers d’Outcast et nous garde la tête sous la ligne de flottaison de son personnage principal. Après les escapades populaires et colorées de superhéros aux combats internes complexes mais dont les scénarii n’osaient prendre l’ampleur du roman graphique pour se soumettre aux schémas classiques du comics, Robert Kirkman s’attaque de nouveau
aux noirceurs de l’âme enchaînée au corps
dans un projet qui retrouve l’ambition de son meilleur travail jusqu’à présent.
Et reprend enfin possession de son public.