Pravda la survireuse
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Pravda la survireuse

BD franco-belge de Pascal Thomas et Guy Peellaert (1968)

Pravda, rouquine longiligne et dénudée, chevauche sa moto dans un simulacre d’Amérique en carton pâte. Les façades urbaines masquent l’isolement de la civilisation recroquevillée en oasis perdues au milieu d’un désert franchi à grands coups d’ellipses dans des courses poursuites resserrée en deux trois cases. Il faut rechercher le mouvement ailleurs, la narration ne joue que le rôle d’accélérateur, de brusques poussées iconoclastes laissant en ruines les idoles pailletées que Pravda piétine et démasque. C’est dans le graphisme, volumineux et ample, menaçant de faire jaillir l’action au dehors, et par une gestion des échelles phénoménale, notamment par le biais d’interactions avec un décor qui surgit et noyaute l’intrigue, que naît le mouvement. Pravda s’anime, parfois elle se pose, prise au centre d’un tourbillon de formes languides et de couleurs bigarrées, qui sabre tout repère pour reconstruire immédiatement dessus une nouvelle donne, un nouveau tremplin. Le solide se liquéfie, les décors s’effondrent, les frontières s’effacent, un rêve opiacé dévore un réel trop devenu trop mouvant, repoussant l’illusion d’un amour étrange où s’égare Pravda, en proie aux vertiges d’un sentiment trop proche de la soumission pour qu’elle y succombe. Elle refuse de se lier, de plier comme de régenter. Elle accable la bêtise, sans pitié pour la faiblesse, elle porte son intransigeance accablante comme une armure, plus palpable pourtant que la chair qu’elle expose sans pudeur aucune. Son corps aux courbes affolantes se livre totalement, elle prend des coups sans cesser de répliquer, elle se livre sans retenue, ses traits épousent sa moto-jaguar pour porter sa férocité. Dans les cohortes de figures dupliquées, interchangeables car anonymes, défigurées par un pop art envahissant, elle seule a l’élan nécessaire pour s’élever, sauter dans le vide sans se briser entre les cases engluées dans les mirages du rêve américain, participant, pour mieux le foudroyer, au consumérisme effrénée réfugié derrière l’étendard de la marque, se livrant à un déchaînement de violence qui serait gratuite si elle ne visait pas d’abord à déstabiliser un ordre établi, qu’il soit social (le féminisme vindicatif) ou institutionnelle (la rébellion face à l’autorité). Pravda porte une lutte, elle demeure libre et sans attaches.
CosmixBandito
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le 8 sept. 2013

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