Bénéficiant d'une réputation sulfureuse, porté au pinacle par de nombreux fans qui retrouvent dans ses pages un écho malin à leurs pires désirs de transgression, "Preacher" est un drôle de livre... Comic book à l'américaine, avec tout ce que cela comporte de codes adorés par les uns, honnis par les autres, il est réalisé par deux britanniques (un anglais et un irlandais), ce qui était sans doute la seule manière d'aller aussi loin dans la provocation, en particulier anti-religieuse. Cet mauvais esprit, que l'on qualifierait facilement de punk, s'exerce en effet à longueur de pages aux dépends de tous les codes habituels, s'acharnant particulièrement sur la bêtise crasse de l'Amérique profonde, arriérée et fascisante... ce qui réjouit finalement à bon compte les Européens que nous sommes, certains de notre supériorité morale sur ces péquenots obsédés par les armes et une morale d'un autre temps (encore que...). Mais tout cela ne serait pas grand chose, en tous cas ne serait pas très sympathique finalement, si Ennis et Dillon ne nous offraient surtout un grand délire mélangeant violence "tarantinesque", science fiction et ésotérismes goguenards (les anges qui gèrent le monde parce que Dieu s'est fait la malle...), et fantastique déjanté (encore un beau retour du mythe éternel du vampire...). Bref, on ne sait jamais ce qu'on est en train de lire, et c'est tant mieux, d'autant qu'on rit aussi beaucoup aux vannes méchantes qui volent, un peu aux dépends de toute le monde (le monde du Rock en prend ça et là pour son grade, aussi...). Ainsi, si chacun des épisodes (six, je crois, mais je ne suis pas sûr) qui composent ce premier recueil, "Mort ou Vif", fonctionne admirablement, grâce en particulier à un graphisme simple mais efficace, on ne peut pas en dire autant de l'ensemble de l’œuvre, tant il semble que Ennis se perde un peu en route, abandonne son sujet initial pour aller explorer des chemins de traverse (l'histoire du serial killer new yorkais) qui diluent un peu notre intérêt. Il faudra donc voir comment se poursuit la série pour vraiment statuer sur son importance et sa qualité. A souligner aussi les remarquables couvertures de Glenn Farby, auxquelles cette édition rend un hommage justifié... même si le travail de Farby est quand même assez éloigné des personnages de Dillon ! [Critique écrite en 2016]