Les titres de mes critiques – et quelque contenu que ce soit par ailleurs – je n’aime pas les formuler en anglais. Mais parfois, et même trop souvent, nécessité fait loi. Car le titre, ici, est une référence à Rainbow, manga dont ma critique n’aura pas fait que des émules parmi ses lecteurs. Le titre, là encore, avait marqué ; mais pas du fait d’un anglicisme. La référence ne pouvait pas ne pas être faite bien que les deux œuvres, excepté leur cadre carcéral prononcé, n’ont en commun que l’exhibition outrecuidante et insupportable de bons sentiments pâteux de ce qu’ils ont de pathos dans les fibres. Prisonnier Riku a au moins cette excuse d’être d’une part un Shônen – avec toute la vilaine connotation que suggère aujourd’hui cette classification – et surtout, contrairement à Rainbow, de ne pas se présenter comme un manga inspiré de faits réels. Car tout fictionnel puisse être le manga, il reste – malgré lui – autrement plus crédible que le désastreux et misérabiliste Rainbow que je n’enterrerai jamais suffisamment profondément. Ma lecture de Prisonnier Riku, c’était l’occasion de donner un nouveau coup de pelle. Et aussi d’achever la critique du dernier manga de la liste des meilleurs Shônens selon SensCritique.
Riku, l’intrigue nous le présente comme un « jeune de quartier défavorisé ». La connotation, à force, fait rire. Elle fait rire d’un rire grinçant qui vous écorche les lèvres et vous irrite les nerfs. Ah, l’éternelle victime de la pauvreté et de l’arbitraire. Je connais. C’est incontestable comme réalité. Dans la fiction, j’entends. Parce qu’effectivement, comme avec Rainbow – mais dans une moindre mesure – le manichéisme est ici de circonstance. La trame, elle ne tient même debout que grâce à ça. Les braves gars sont entre quatre murs et, aux miradors, rien que la pourriture de ce monde. C’est commode. Cliché à outrance, mensonger et infantilisant jusqu’à la plus petite virgule de ce qu’articule le propos ; il n’empêche, c’est commode.
En réalité, les riches – qui sont coupables de l’être – profitent des pauvres, qui sont, en chaque circonstance, foncièrement innocents. Seraient-ils coupables ces gens-là qu’ils ne le seraient pas. Quand je lis ça, avec tout le ridicule et l’outrance que comprend le postulat, j’ai l’irrésistible envie de brûler un cierge à l’intention de Bernard Arnaud.
À le lire et à le subir Prisonnier Riku, dans la trame et dans les trames – graphiques celles-ci – on me soufflait l’atmosphère du One Piece des débuts. Sans la consistance qui allait avec, mais il y avait de ça. Les dessins d’abord, pas mal analogues, avec des grimaces ici abusives qui ne font rire personne, ou encore les gentils très gentils qui sourient toujours avec bienveillance jusqu’à ce que tombe le couperet. Du fait que ça trempait dans le même style au point d’y nager la brasse, je me figurais que c’était l’époque qui voulait ça, allant jusqu’à supputer que Riku, comme One Piece, précédait les années 2000. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis la date de première publication. Qu’on se le dise, même en 2011 à ses débuts, Prisonnier Riku avait dix ans de retard pour tout ce qui lui tient lieu de dessin. Il n’y a pas le charme des dessins d’antan, rien qu’un retard manifeste et grossier dans le style. La suite de la parution, l’auteur l’occupera en cavalcade à tenter de rattraper ce qui se fait durant la période, histoire d’être dans le coup.
Riku, ça me peine de le savoir en cellule. Parce qu’à des barreaux aux fenêtres, je lui aurais volontiers substitué l’échafaud. Pétris de lourdeur, il braille, il gueule et fait preuve d’un optimisme sans borne et sans intérêt. Toujours volontaire, jamais authentique, il se déjoue sans cesse des manigances du préfet qui, pourtant… n’a qu’à presser les deux doigts pour l’écraser. Dieu merci pour Riri, le scénario est là en renfort.
Ceux qui ont lu Shamo ou Bakuon Retto trouveront des similitudes au concept carcéral, mais rien que dans les apparats. Le contenu, lui, est résolument risible. Sasaki, le gros dur, rien qu’au character design, on sait qu’il se fera l’allié du héros. Cousu de fil blanc sous une encre noire. Et ça loupe pas. S’il est si méchant, c’est parce qu’il a une blessure secrète qui le balafre au cœur vous comprenez. Ah la galéjade que celle-ci. Cent fois on me l’a fait. Au moins.
Des efforts dans l’écriture ou le développement des personnages, ça n’est pas au programme. Non, l’actualité, elle est plutôt tournée vers la nécessité de faire traîner le plus longtemps possible une série qui ne reposera jamais sur rien d’autre que son idée de base. On exploite le minerai jusqu’au fond du fond, quitte à gratter sous la croûte terrestre. Le champ lexical est de mise puisqu’on aura même droit à un arc « tunnel » pour s’échapper. Tout y passera pour prolonger inutilement le séjour de Riku et Sasaki sur les planches et entre quatre murs. Et non pas l’inverse, malheureusement.
La petite foule de personnages secondaires qui s’amoncelle peu à peu ne brillera que d’une lueur fade portée par les flammes du bûcher auquel ils sont tous voués. Des caractères monodimensionnels sans portée, pour tous autant qu’ils sont. En ce sens, ils ne dénoteront jamais des protagonistes principaux. Tous égaux dans l’infamie.
J’insiste et je m’acharne, mais cette tendance à vouloir prolonger un récit qui aurait gagné à tenir dix volumes est un peu plus criant à chaque chapitre qui passe. L’improvisation est constante et renouvelée au moindre prétexte. Il n’empêche que ça tempère les éclats tempétueux et que ça, seulement, intime à la réserve dans la critique qu’on puisse adresser au rendu. Pour mauvais que c’est, Prisonnier Riku reste tolérable du fait que l’œuvre modère les excès scénographiques. Des effets de manche scénaristiques ? Sans cesse que vous en aurez. Car finalement, l’intrigue va au-delà de l’évasion dès lors où il est finalement question de renverser un ordre totalitaire et cruel tout entier au terme du périple. Rien que ça.
Vous relirez en boucle le même scénario à chaque nouvel arc qui passe. Au fond, Prisonnier Riku resitue admirablement l’ambiance carcérale où rien ne se passe si ce n’est les jours qui, à la nuit venue, portent ombrage à un quotidien si routinier qu’il en est machinal. C’est tout le temps la même chose qui nous attend, parfois agencé autrement. Parfois.
La Révolution et les Dragon Cross , par la force de leur volonté inébranlable – et d’une parution éditoriale qui n’a que trop duré – viennent à bout des méchancetés – très méchantes – de Kindôin. Une conclusion stupide dans un Shônen, ça se doit d’être grandiloquent apparemment. Y’a des conventions collectives quelque part qui astreignent les auteurs. On dira ça pour pas tirer d’autres hypothèses. Le fait est que ça finit bien. Comme quoi, suffit d’une mandale adressée au grand vilain en chef, et c’est le Paradis qui lui gicle d’entre les gencives. C’est beau le monde quand un Shônen bas de gamme s’essaye à en dresser le panorama. Certes, ça ne ressemble à rien, et assurément pas à la réalité ; mais c’est mirifique de bêtise.
Prisonnier Riku, en définitive, rappellera à certains « The Promised Neverland ». Le fait d’être enfermé, de chercher à s’évader et puis tout le tralala qui s’ensuit du changement de monde pour que le bien prenne le pas sur le mal ; on y aura droit dans l’ordre. Et puis, cette conclusion interminable… elle achèvera de convaincre, j’espère, les plus tenaces qui auront juré leurs grands dieux que, non, jamais l’auteur n’aura fait traîner son intrigue inutilement alors que son manga ne sera précisément fait que d’un obscène étalage d’encre sur des milliers de feuilles blanches qu’on eut mieux employé dans les cabinets. Mais allez faire boire un âne qui n’a pas soif. Assoiffé, il faudra en tout cas l’être immodérément pour laper dans l’eau croupie d’où a germé l’œuvre présente. Le plus terrible, quand on en referme le dernier tome, c’est encore de se dire que Prisonnier Riku, c’est encore loin du pire de ce que le Shônen peut accomplir. Mais je désespère pas. Des bons Shônens méconnus, y’en a. Reste à s’armer de patience quand il s’agit de les prospecter.