Si cette bande dessinée est sortie un mois avant le Mondial de football, désormais relégué au rayon des souvenirs, il n’est pas trop tard pour s’intéresser au sujet, bien au contraire. Car même si les cornes de brume ont cessé de résonner au-dessus des gratte-ciel de Doha, le Qatar continuera à faire parler de lui, c’est certain. On a pu le constater, les premiers émois quant aux conditions inhumaines des ouvriers travaillant sur les chantiers et la possibilité d’un boycott de l’événement ont rapidement fait pschitt face à l’engouement des foules. Ainsi est faite la nature humaine quand il est question de pain et de jeux…
Le livre, judicieusement divisé en plusieurs chapitres concernant les aspects politiques et économiques, débute par un rappel historique sur les origines du Qatar, Ce que montre très bien ce docu-BD, c’est la complexité géopolitique inhérente à cet Etat, coincé entre une Arabie saoudite qui a longtemps été l’interlocuteur privilégié des USA dans la région, et les Emirats arabes unis rivaux (Dubaï devance encore largement Doha en matière d’attractivité touristique), sans parler d’une situation souvent explosive hors des frontières de ces pays, où guerre, terrorisme et pauvreté semblent endémiques.
« Qatar, le lustre et l’Orient » fournit un état des lieux assez complet sur ce petit royaume dont la taille est inversement proportionnelle à son rayonnement international. Il faut dire que la famille princière Al Thani met tous les moyens pour contrôler aussi bien l’image du pays que son peuple, qui dans son ensemble ne profite guère de la manne financière issue du gaz et du pétrole. Victor Valentini détaille tout ce que l’on sait plus ou moins, à savoir que cette monarchie absolue n’est jamais regardante quand il est question de redorer son image (l’organisation de la récente Coupe du monde ou l’achat de clubs de foot en Europe ou la construction de musées sous la houlette des plus grands architectes) d’asseoir sa puissance médiatique (la diffusion à grande échelle des programmes des chaînes Al-Jazeera et BeIn Sports) ou de s’ingérer dans les affaires politiques d’un pays stratégique à ses yeux (le soutien des Frères musulmans en Palestine ou dans les banlieues françaises, malgré les constants démentis de Doha).
Pour ce qui est du dessin, Emmanuel Picq fournit un dessin réaliste passe-partout, parfois quasi-photographique, qui convient bien au genre, agrémenté d’une mise en page assez variée et d’une colorisation agréable.
C’est aussi une des qualités de cet ouvrage qui permet, à la façon d’un documentaire télé, d’avoir une vision plus claire de ce qui se cache derrière le « lustre » de cette monarchie du Golfe qui malgré l’impressionnante « skyline » de ses gratte-ciels ultra futuristes, fait toujours très peu de cas des droits de l’homme, qu’il s’agisse des conditions de travail, du statut des femmes et de l’homosexualité, toujours passible de peine de mort à l’instar de la plupart des pays voisins.