Mon quotidien dans le coma avant d’être vivant
À côté de l’aventure de Matthieu Blanchin, les voyages aux quatre coins du monde qui servent d’appui à de nombreux BD-reportages sembleraient presque anodin. Il n’en est rien mais ils demeurent des choix de partir, de faire les démarches pour accéder à cette mise en récit en bande-dessinée. Matthieu, lui, n’a pas choisi. Quand le voyage vous saisit de manière impromptue et irrémédiable, quand il vous plonge dans les tréfonds de vous-même, il est impossible de résister: Matthieu a sombré dans le coma suite à une tumeur au cerveau. Il aurait pu ne pas en réchapper. Il l’a fait. Il aurait pu ne jamais retrouver la mobilité face à l’hémiplégie. Il aurait pu ne jamais reprendre les crayons et le dessin, heureusement il y est arrivé. Et son témoignage n’en est que plus rare. Son Quand vous pensiez que j’étais mort (sous-titré Mon quotidien dans le coma) est totalement inédit et enrichissant, car en dessin il décrit l’inconscient, les périples aventureux qui ne se passent que dans sa tête et que jamais aucune caméra ou appareil photo ne saura immortaliser.
Non content de réinstaurer cette puissance du crayon fidèle au vécu,Matthieu Blanchin se pose en témoin de la mort, de la vie, de l’entre-deux. De la douleur aussi, de l’indolore ouaté et confortable, et de ce mince passage entre le conscient et l’inconscient. Ce jeune père de famille a vécu son premier coma (sur deux) en 2002. Malaise, attaque cardiaque, le noir complet puis les images et les aventures que son cerveau lui suggère: sa fille enlevée, Matthieu pris dans le feu des agresseurs, cette omniconscience « sphérique »… Inconscient tellement réel. Le songe, tour à tour rêve et cauchemar, durera dix jours. Pendant ce temps, Matthieu est trépané, il ne le saura que plus tard. De cet épisode de sa vie, Matthieu en sortira avec une grande cicatrice contournant son oreille, mais aussi bouleversé et devra réapprendre à vivre (lui qui à un moment de confort inconscient voulait abandonner ses forces à la mort dans ce qu’on apparente à une Near Death Experience) et comprendre ce qu’il a vu et « vécu » pendant ses dix jours hors et en dedans de son corps, les crises d’épilepsie, les médocs à prendre. Mais aussi bien avant, dans sa jeunesse, et qui a pu causer des problèmes, des meurtrissures dans l’inconscient jamais résolue (sa mère toujours derrière lui, ses pieds bots à la naissance). Multipliant les consultations avec médecins, neurologues et psychanalystes, Matthieu rencontrera un expert qui lui dira de se remettre à dessiner tout ce qui lui est arrivé depuis 2002.
Ouf, Matthieu a suivi ce conseil! Sans quoi il nous aurait privés d’un formidable récit sur l’inconnu de l’humain. En noir et blanc et de manière totalement brouillonne – normal quand les souvenirs, le conscient, l’inconscient et tout le reste vont et viennent pour se réassocier ou se dissocier -, Matthieu Blanchin livre un récit riche et marquant, singulier à nul autre titre. Son indescriptible quotidien dans le coma, Blanchin arrive à le décrire, pointilleusement et de manière délirante aussi. Sa bichromie est fantastique. Son livre est une baffe, une claque qui nous rend encore un peu plus vivant après cette expérience par procuration d’une des plus grandes peurs de l’Humain. Vibrant, ébouriffant et surtout « chef d’oeuvresque »!
19/20