J'avais lu "Quartier lointain" à l'âge de douze ou treize ans, et j'en avais gardé un souvenir très positif. Mais ce n'est qu'à la relecture, dix ans plus tard, que je me rends compte à quel point cette oeuvre m'avait profondément, et presque inconsciemment, marqué.
L'idée du retour en enfance, tout d'abord, est d'une force redoutable. Je pense que le fantasme de revivre des situations du passé avec nos moyens d'aujourd'hui est présent chez beaucoup d'entre nous, si ce n'est tous. "Quartier lointain" nous permet de le réaliser par procuration, et les réussites successives d'Hiroshi ont quelque chose de purement exaltant. Mais certains événements de la vie ont lieu pour des raisons indéniables. L'inéluctable existe (d'ailleurs, il ne sera jamais question pour Hiroshi de sauver son ami motard, Masao), ce qui peut en revanche être changé, c'est la compréhension et l'acceptation de ces événements.
Le scénario brillant et empreint d'une extrême tendresse est servi par un dessin superbe, une maîtrise du noir et blanc parfaite, une régularité qui ne sombre pas dans l'ennuyeux. Le rythme est excellent. On prend le temps d'apprécier jusqu'à la fin, également très forte, qui nous laisse rassasiés. Certes, on en redemanderait, comme toujours avec les très belles œuvres, mais il n'y a pas de déception, pas de désagréable impression de "trop vite" ou de "trop court".
Enfin, plus que tout, "Quartier lointain" est un livre qui fait du bien, une réponse à ceux qui s'interrogent encore sur l'utilité de l'art. Plus que du plaisir, ce qui est déjà une très belle chose, Jirô Taniguchi m'apporte ici du bonheur. La fin de son manga donne envie d'aller bouffer la vie à pleines dents. Parce que si aujourd'hui, je me dis que j'aimerais revivre mon enfance, qu'est-ce-qui me dis que dans quelques années, je ne souhaiterai pas revenir à aujourd'hui ?