Un assemblage complexe de concepts et de dessins

Scénarisé par Matt Kindt et dessiné par Clayton Crain, les intégrales nous plongent dans le futur de l'univers Valiant, et plus précisément en 4001. La surface de la Terre telle que nous la connaissons n'est plus, elle est aujourd'hui entièrement dévastée.
L'action se situe dans le Néo-Japon, Mégapole qui a pris son envol pour échapper aux guerres terrestres, sous l'égide de "Père", entité informatique ayant pris conscience d'elle même et de son rôle d'administration de la cité. À son service, il y a Rai, un être cybernétique qui lui sert de héraut, de policier et de bras armé sur l'ensemble du Néo-Japon. Cette histoire retrace sa prise de conscience et sa révolte.
Côté récit, on est d'emblée frappé par les différents monuments du cyberpunk qui ont inspiré l'auteur pour sa narration: Philip K Dick avec la place des Positrons ("Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" AKA Blade Runner pour les cinéphiles). L'omni/science/potence/présence de Père et la diffusion de programmes d'informations réglementés qui anesthésient les esprits et annihilent toute pensée individuelle comme dans 1984 d'Orwell ou encore Fahrenheit 451 de Bradbury.
Et pour finir, Gunnm de Yukito Kishiro. Ce manga dépeint un futur post-apocalyptique dans lequel les habitants de la décharge (zone d'une planète où il n'y a pas vraiment de règles, et où l'humanité survit plus qu'elle ne vit) se prennent à rêver de vivre dans une ville flottante qui les surplombe: Zalem. Matt Kindt en fait plus qu'une inspiration pour son récit, il en fait une vraie référence, car l'action se situe dans la ville flottante et non au sol.
L'histoire au travers de son héros et du Néo-Japon jongle avec les différents concepts que sont la manipulation des masses, le totalitarisme, la prise de conscience, la liberté individuelle et l'émancipation à travers l'opposition à des dogmes et systèmes clairement établis. Le problème est que la superposition de ces concepts aussi habile soit-elle, fait perdre le fil sur le scénario en tant que tel, rendant ainsi la lecture du premier tome complexe.
Initialement, Rai est missionné par Père pour enquêter sur le premier meurtre en 1000 ans. Ce pitch de départ très simple permet de mettre en lumière la fausse utopie qu'est le Néo-Japon et de glisser lentement mais surement vers l'origine de ce meurtre (coucou le péché originel) qui va se révéler aussi complexe que les thèmes abordés.
Concernant le dessin de Crain, chaque case, chaque planche est une œuvre d'art, et doit ainsi s'appréhender comme tel. Même si l’œil s'en trouve flatté, cela nuit malheureusement à la fluidité de la lecture. J'ai largement préféré le coup de crayon de Cafu qui officie sur la deuxième partie de l'histoire, qui donne plus de dynamisme à l'ensemble et qui colle parfaitement à l'ambiance cyberpunk du récit. Bravo à Bliss Comics pour les bonus et les appendices écrits par des grands noms du comics (Jeff Lemire, Fred Van Lente etc...) qui donnent du relief à l'histoire et sont essentiels à sa compréhension. Comme toujours, la qualité est au rendez-vous, faisant de cet éditeur, un monstre de qualité et de respect pour son lectorat.
Rai a la lourde responsabilité d'être la porte ouverte sur l'univers Valiant
futuriste, en plus d'être une histoire en relief forçant le lecteur à s’interroger sur l'adage de Juvenal: "quis custodiet ipsos custodes?". Enfin il est une critique à peine déguiser de la religion par le fatalisme des habitants du Néo-Japon et la volonté de s'en remettre à "Père" (Dieu le ?????), pour tout.
Rai est sans conteste très réussi, mais très difficile à appréhender. Sa lecture comme sa compréhension, à l'instar de la rédaction de cet avis, m'ont pris beaucoup de temps. Il est à réserver à un lecteur avertit.