Pur et simple. Pas de fioriture ou de dramatisme, aucun scénario qui soit controuvé afin de flatuler par-delà ses escourdes ; Ranking of Kings, mieux qu’un récit qui se narre dans la quiétude, est une légende contée tendrement sans éclat ou mollesse dans la voix. Le présupposé de l’ouvrage nous suggère un monde médiéval fantastiques doté de ses propres particularités. Un monde qui s’explore sans chercher à se dévoiler ostensiblement. On est en effet à mille lieues de ces chroniques médiévales fantastiques élaborées au milieu de trois idées éparses pour ne finalement rien avoir à offrir pour ce qui tient à leur univers. Je pense à The Four Knights of Apocalypse, certes, mais aussi à Dragon Quest ou encore Übell Blatt dans un registre supposé plus mature. Non, figurez-vous qu’ici, c’est bien écrit. Sans doute car ni le crayon et encore moins le stylo ne dérapent ou ne griffonnent inconséquemment. Ranking of Kings, au milieu de ses dessins très franchement épurés, exhale des airs paisibles à chaque planche. De ces airs qui vous inspirent une lente minutie dans ce qui tient à leur aboutissement.


Ranking of Kings est une œuvre qui se veut attendrissante dans ses grandes lignes sans toutefois jamais s’égarer dans le gentillet, le complaisant ou le sirupeux. Quelque chose de véritablement pur s’en dégage. Il y avait, pourtant, après que le personnage principal nous soit présenté, de quoi craindre des écueils de l’ordre de ceux venus nous écorcher la rétine en silence le temps de A Silent Voice, mais le récit, ici, s’en émancipe car soucieux d’élaborer une histoire qui vaille la peine d’être lue ; un conte dont la portée du contenu saura séduire chaque génération qui s’y laissera happer le regard.


Un manga qui sait s’écrire, c’est aussi un manga qui sait se dessiner. Il y a toujours, naturellement, des exceptions pour infirmer le théorème présentement rédigé ; mais il s’en trouve bien peu en réalité. Aura un style dans la plume, un auteur tout autant capable capable d’un style dans le graffiti. Quand l’originalité imbibe le cerveau des esprits comptant parmi les plus créatifs, celle-ci, dès lors, se répercute aussi bien sur l’histoire que ses dessins.


Ce serait, certes, céder aux facilités d’usage – dont je suis par ailleurs coutumier – que de s’essayer à décrire un style graphique en usant de comparaisons. Pour sa simplicité, le dessin de Ranking of Kings évoquera d’abord – et pas qu’un peu – le coup de crayon de One ; celui d’un auteur loin d’être expert en dessin qui, bien qu’il ne maîtrisa que peu de choses des rudiments de cet art, en tira cependant le meilleur parti. Et puis, dans les postures de personnages, même si cela est feint, quand bien même cela est diffus, on y retrouve bien – ne serait-ce que dans les contours des débuts de l’œuvres – les traces bien présente du dessin de Yoshio Sawai.


Rudimentaire, le dessin ? Aucunement. Quand un auteur développe un style qui lui soit si spécifique, c’est qu’il l’a travaillé. Nonobstant les affinités de ses lecteurs, ceux-ci seront contraints de reconnaître et, a minima, de respecter les efforts commis pour élaborer pareilles esquisses. Ranking of Kings, dans ses atouts graphiques comme scripturaux, s’avère simple sans être simplet, et présente un trait enfantin, rondouillard, qui jamais ne se gâte dans du mielleux. Cela ne sera alors pas sans rappeler le Dragon Ball des débuts. Toutes proportions gardées.

C’est un style propre dont on est ici les lecteurs, un style défini et plus tard affermi qui, décemment, ne rebutera guère que les béotiens formatés à un contenu graphique qui l’est tout autant. Voilà des dessins originaux et empreints d’une fraîcheur véritable qui, en aucune façon, ne se trouve affectée ou prompte à quelconque mignardise. Ce qu’on lit ici se trouve ainsi vivifiant rien qu’à le savourer des yeux. On apprendra par ailleurs, à l’issue du volume huit, que Sôsuke Kota dessine seul et sans assistant pour le seconder. Sans doute cela n’est-il pas étranger à la qualité finale dont le rendu n’aura pas été usiné entre quinze paires de mains avant d’accoucher sur le papier.


La douceur de vivre, celle-ci dépourvue du moindre effet de mise en scène pour mieux s’exhiber comme pure et sincère, se dégage du manga à longueur de planches. Même dans les instants de gravité qui seront autrement plus nombreux que ne le laissera figurer les premiers chapitres. Ne jugez pas un livre à sa couverture, je le sais pour n’avoir que trop commis cette erreur.


Sôsuke Tôka, autrement plus subtil et habile dans la rédaction de son œuvre, laisse entendre une histoire mignonne et prévisible après avoir impulsé l’élan initial de son œuvre. Un petit prince gentillet, un roi fort et débonnaire, une belle-mère acariâtre cherchant à pousser son fils arrogant sur le trône, des officiers fidèles et justes, un instructeur lugubre aux allures perfides ; on croirait que tout est par avance écrit sur leur gueule à tout et pourtant… c’est à revers que nous saisira l’auteur en sachant si bien détourner les codes narratifs que l’on croyait jusque là immuables.


Il n’y a jamais d’éclat dans la scénographie, on s’en rend compte tardivement, après s’être laissé entraînés par le fil du récit. L’histoire s’écoule paisiblement, on suit le courant qui nous emmène et il n’y a pas de vague ou d’arrêt subit. Je n’entends pas par là que l’allure du récit y est monotone, simplement que celle-ci coule de source


La narration repose très souvent sur les silences – la thématique y prédispose considérant l’infirmité de Bojji – et cela passe toujours très bien, sans qu’on n’y voit là un quelconque effet de manche destiné à impressionner. Le procédé s’inscrit naturellement dans le cadre de l’œuvre comme s’il contribuait à façonner son ADN. Encore une autre singularité – et une digne de louanges – à mettre au crédit de ce Shônen sorti des sentiers battus sans toutefois s’en détourner de trop loin. De quoi plaire aux jeunes lecteurs comme aux plus endurcis et même… aux plus acerbes d’entre eux, dont je suis le plus zélé pisse-froid.


Car le cadre narratif, sans être déroutant ou franchement hors concours, fait montre d’une telle fluidité qu’on ne saurait marquer les étapes du récit. Dépourvue de la moindre lenteur dans le rythme – et que cela est plaisant – en enchaînant si parfaitement les chapitres, l’intrigue se déroule et nous dévoile un peu mieux le potentiel de l’œuvre qui, partie d’une aventure que d’aucuns auraient pu croire gentillette, aboutit à quelques détours scénaristiques retors et inattendus. En dépit de la douceur du ton, la mièvrerie n’est certainement pas de ce monde-ci.


Les phases d’action ne sont pas des plus trépidantes qui soient, mais ce qui conduit à elle ainsi que leur aboutissement justifient qu’on s’intéresse à elle. La force de leurs enjeux et les parties en présence supplantent les chorégraphies articulées le temps que l’affaire s’accomplisse. Les combats, dans la manière dont ils sont dessinés, ressemblent à du Tezuka dans les traits. L’action y apparaît plutôt datée dans la manière dont elle s’orchestre, ce qui ne la rend pour autant pas moins appréciable que ce dont les Shônens-lambda sont à même d’excréter quand leurs bestiaux s’agitent.


Il est tout de même admirable qu’un conte, où rois et monstres sont de la partie, prêtant ainsi le flanc au classicisme d’usage, s’accomplisse en réalité comme un des Shônens où l’on tort le mieux son cou au manichéisme. Antagonistes et protagonistes ont tous leurs raisons pour agir comme ils le font, au point de brouiller les pistes – au moins partiellement – quant à déterminer quelle est la variable maléfique en présence. On ne sait trop, au fond, qui est la figure du « méchant » en dépit, pourtant, de quelques actes de cruauté, ceux-ci bien avérés.


L’invasion du Royaume de Bosse par les bandits, loin de présenter de simples antagonistes clichés, introduit diverses personnalités imbriquées les unes aux autres par des intérêts parfois divergents. Il y a en effet une dynamique de groupe qui aura été envisagée entre eux à la seule fin de mieux crédibiliser l’ensemble disparate de criminels qu’ils composent. Tous ont leurs ambitions, leurs lubies et cela aboutit dès lors une situation plus imprévisible qu’il n’y paraît où chaque acteur en présence peut créer la surprise. L’affrontement contre Houken puis Bosse aura peut-être un peu traîné néanmoins.


Peut-être, par instants, l’histoire se poursuit en sautant quelques passages nécessaires à une meilleur compréhension de ses tenants. Notamment pour ce qui tient parfois aux allégeances fluctuantes de protagonistes – je pense tout particulièrement au cas Apis – qui donnent, en certaines occasion, un côté improvisé aux volte-face amenés à survenir.


Trempée dans un univers où le fantastique et la magie sont de rigueur, la trame, sans que jamais on ne s’attarde à trop définir l’étendue des pouvoirs, rend tout admissible. Cela, toutefois, sans que jamais rien ne paraisse sortir de nulle part. Les pouvoirs, ainsi exprimés à travers les agissements de divers protagonistes surhumains, sont limités ce qu’il faut dans leurs attributions pour que l’on savoure une adversité qui, de cette minutie scripturale, n’en jaillit dès lors que plus éclatante et crédible que jamais.


L’histoire de la nation de Houma supplante – avec un brio et une maestria narrative pourtant élémentaire – de très loin le moindre Flashback assommant commis par tout Shônen ces vingt (trente ?) dernières années. Et pourtant, ce qui s’y rapporte n’a rien, dans l’idée, de franchement original. Mais l’œuvre, ainsi dépourvue des artifices de la mise en scène tapageuse, offre ainsi un contenu sincère qui vise mieux au cœur que lorsqu’il est alourdi des finasseries scripturales trop souvent employées.


Ce qui fera suite à la trame adapté en animé (adaptation superbe au demeurant) s’avère d’abord moins inspirée, plus prévisible en certaines circonstances et même, parfois, un brin trop convenue (le coup de la lame rétractable présentée quelques chapitres auparavant… ), puis même chaotique dans son déroulé ; la maîtrise du récit n’y est plus durant un temps. Des protagonistes nouveaux introduits en toute hâte qu’on n’aura pas trop le temps de mâcher avant de devoir les digérer, un nouveau contexte présenté trop rapidement…, on sent que l’auteur avait une idée quand il avait entamé ce qu’on convient d’appeler la « Première Partie » de son manga. Une idée envisagée d’un bout à l’autre et que, la deuxième aura été élaborée plus prestement sur le tard. Pour un peu, les entournures se confondraient presque avec celles d’Arslan Senki. Cependant, une fois sorti de la forteresse pour retrouver le campement de Geslan, l’allure originelle de l’œuvre reprend bon train dès lors où le dieu Zaki s’impose dans la trame. De quoi être franchement, si ce n’est même aveuglément, optimiste pour ce qui tient à l’avenir de ce remarquable Shônen dont on se plaît à attendre chaque nouvelle parution.

Josselin-B
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le 8 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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