Reborn!
6.3
Reborn!

Manga de Akira Amano (2004)

Les yeux fermés, car vous somnolerez d'un sommeil lourd et profond.


Le manque de passion réelle et d'authenticité est flagrant, certes, l'absence d'intrigue construite vous saute à la gorge du premier au dernier volume, effectivement, mais ce manga est un si spectaculaire exemple de fainéantise dans l'écriture d'une œuvre - même au regard des canons de la médiocrité actuels - que cette flemme de l'auteur se voudra communicative jusqu'à contaminer son lectorat. Bien vite, vous serez aussi léthargique qu'elle (auteur féminin, j'ai été étonné de le découvrir compte tenu de la manière dont elle traite les personnages féminins dans son œuvre) lorsqu'elle a accouché sans conviction de cet étron encré. Si oisifs que vous serez même trop fatigué pour tourner les pages. Reborn, ça se lit jusqu'au bout par habitude, par lassitude, ou par obligation (faut bien pour en écrire la critique n'est-ce pas) mais certainement pas par affinité. Pas à moins d'être aussi fade que le manga en lui-même.


Fainéantise qui vire à l'indolence la plus outrecuidante qui m'ait été donné d'être témoin à ce jour. Akira Amano ne donnera jamais ne serait-ce que la vague impression de se soucier réellement de ce qu'elle écrit. L'idée même qu'elle se soit investie personnellement dans son œuvre ne vous effleurera pas l'esprit. C'est de loin et du bout de la plume qu'elle écrit Reborn. Tout commence très mal et je suis surpris - et atterré - qu'aucun chargé éditorial n'ait recadré vertement les premiers défauts apparents de ce Shônen sans ambition ni créativité pétri de lacunes au point d'en devenir une à part entière.


L'univers de Reborn, soit, le cadre dans lequel évolue les protagonistes n'a ni contours, ni définition claire et souffre surtout d'une lourde carence en terme de respect d'une quelconque cohérence des éléments associés. Autant dire que ça commence très bien.


C'est donc l'occasion de palabrer sur un sujet essentiel que tous (moi y compris) avons toujours considéré comme acquis : les critères de la cohérence dans un univers défini.
D'abord, posons le monde tel que représenté par l'auteur dans une fiction. S'agit-il du monde réel ou d'un monde merveilleux où la magie et tout ce qui y est lié relève du banal et donc, n'a pas lieu d'être justifié ? (J'ai délibérément réduit les hypothèses de construction d'univers à ces deux cas afin de ne pas digresser, il y en a bien d'autres envisageables évidemment). S'il s'agit du monde réel, le surnaturel est permis à compter de l'instant où l'on y incorpore le ressort fantastique. On considérera alors que cet élément est incongru pour le commun des mortels, mais qu'il s'inscrira dans une logique propre en s'imbriquant dans le monde réel. L'exemple tout trouvé étant celui de Death Note, notre monde dans lequel le ressort fantastique du carnet laissé par un Dieu de la mort permet alors à des des situations inenvisageables jusqu'à lors d'advenir.
Il est aussi possible de faire preuve d'une cohérence illogique. On jurerait qu'il y a là contradiction dans les termes, mais les Looney Tunes respectent la cohérence des canons de l'univers qu'ils ont posé tout en faisant jouer le ressort absurde. L'exemple d'une bombe considérée comme ce qu'elle est, à savoir un instrument de mort, ne tue pas les personnages mais fait office de ressort gaguesque. Cela reste cohérent aussi longtemps que d'un épisode à l'autre, la bombe produit le même effet sur les personnages. Si elle vient à devenir réaliste et finit par tuer alors qu'elle se contentait simplement de noircir le visage du personnage auquel elle explosait au visage, ce regain de logique (la bombe devenant mortelle) devient incohérent avec tout ce qui nous a été présenté à ce jour.
Nous avons là brodé là fugacement quelques cas de figure afin de ne pas trop nous écarter du sentier de la critique. Considérez à présent que tous ces cas, recouvrant des situations foncièrement hétérogènes et dissemblables, soient à présent mélangées dans une même œuvre ; alors, plus rien ne fait sens au regard de la logique ou même de la cohérence propre à un univers précis. Vous l'aurez deviné à cette entrée en matière fastidieuse : c'est exactement ce qu'a fait Akira Amano.


D'univers, dans Reborn, il n'y en a aucune définition claire. Le cadre se veut dans un premier temps réaliste. Un lycéen lambda dans le monde tel qu'on le connait. Le ressort fantastique bondit alors, il s'agit de Reborn, une entité à l'apparence d'un nourrisson utilisant des armes à feu dont l'une d'elle est capable de redonner vie à sa cible avec le besoin absolu d'accomplir sa dernière volonté comme si sa vie en dépendait. Jusque là, la cohérence se tient. Puis, ce ressort fantastique qu'est Reborn est finalement exposé à davantage de personnages. Personne ne s'étonne de son existence. Nous parlons d'un bébé mafieux qui parle. Imaginez E.T où Eliott n'a pas besoin de cacher l'extra-terrestre puisque sa mère ne trouve pas sa présence parmi eux ou même son existence incongrue et ce, en dépit du fait qu'elle ignoraient jusqu'à présent l'existence d'espèces extra-terrestre.


Le premier problème de cohérence se pose, Amano est si flemmarde dans son écriture qu'elle ne se donne même pas la peine de créer une période d'accoutumance entre l'instant où des personnages issus du monde normal confrontés à du fantasque ne soient surpris jusqu'à ce qu'ils finissent par considérer l'inhabituel comme banal. Tous acceptent l'état de fait fantastique sans lever un sourcil dès la première seconde.
Et ça ne s'arrête pas là. Des explosions occasionnées par les mêmes explosifs (l'analogie avec les Looney Tunes ne se voulait pas fortuite) se veut dans un cas précis gaguesque (la baraque qui explose pour être intacte la planche suivante) puis réellement dévastateur et susceptible d'occasionner des dégâts permanents dans un autre cas. Ces exemples d'inconsistance sont particulièrement nombreux dans les premiers temps de la lecture. Ça ira de mal en pire alors que les personnages se découvriront des pouvoirs surnaturels spectaculaires leur venant naturellement, sans introduction préalable ou initiation reposant sur des éléments fantastiques justifiant leur gain de puissance. Demain, si en joignant les mains vous reproduisiez un Kaméhaméha, vous ne hausseriez pas les épaules en considérant cette nouveauté comme concevable, vous vous en étonnerez. Les personnages de Reborn ? Jamais. Cette nonchalance avec laquelle ils acceptent docilement l'inconcevable ne se veut que la retranscription de la pure flemme de l'auteur à seulement chercher à justifier ce qui en principe devrait relever de l'absurde et qui donc, nécessiterait d'être expliqué.
En un sens, tant de fainéantise force le respect dans la mesure où les précédents en la matière sont rares. Nous parlons là d'une auteur auteur qui a créé un manga de quatre-cents-neuf chapitres où l'univers n'a jamais été défini et les critères surnaturels banalisés d'emblée tout en s'inscrivant dans un monde qui se veut réaliste. Le chaos du script est absolu.


Il me faut insister sur l'absence de construction de structure scénaristique stable. Tsuna est choisi par Reborn pour être héritier de la mafia Vongola ; ça me paraît l'amorce d'un Shônen tout à fait respectable. De cette mafia (et des autres) nous ne saurons rien. Leur origine, leur but, leurs moyens d'action : rien. Cela aurait pu être la mafia Vongola comme la coopérative des vendeurs de cacahuètes de Nouvelle-Guinée que cela serait revenu au même : on ne sait même pas de quoi on parle.
La mafia bon sang, c'est pourtant l'occasion de créer des trames mêlant des affaires de complot, de truanderies, de guerres de familles pour le contrôle d'un business ou d'un territoire. Non, ici, les antagonistes surviendront pour régler des contentieux inhérents à des affaires magiques. Le tout à Tokyo intra muros évidemment, car c'est encore le lieu tout désigné pour que les mafias italiennes puissent s'affronter. S'affronter pour quoi au juste ? Nous n'en saurons jamais trop rien. Il est question de battre les Vongolas plusieurs fois sans que jamais la finalité d'une pareille entreprise ne soit intelligemment pensée et élaborée. Amano sera au moins parvenue à se montrer cohérent edans sa gestion désastreuse de son Shônen.


Une intrigue construite ? Après tout ce que je viens de vous rapporter, vous y croyez encore ? Si tel est le cas, permettez-moi d'achever toute forme d'espoir que vous ayez pu nourrir à l'endroit de Reborn. Les soixante-deux premiers chapitres (près d'un cinquième de la totalité, une broutille) n'est que la piètre occasion de mettre en scène un nombre incroyable de protagonistes introduits à raison d'un tous les deux chapitres dans des situations humoristiques. Sur ces mille-deux-cent premières pages environ, j'aurais ri deux fois. Pas aux éclats, mais c'est à relever pour la postérité. Je précise bien entendu que j'ai ri des gags en question et non pas de la médiocrité de ce que recouvrait Reborn comme Shônen. Car là, j'aime autant vous dire que je me suis poilé tout du long entre plusieurs crises de nerfs ponctuelles.
Bien entendu, après avoir présenté tant de personnages, l'auteur en laissera la majorité sur le carreau car incapable de tous les gérer - ce qui était pourtant à prévoir quand le bestiaire approche la trentaine d'âmes - j'appelle cela l'effet Lunch dans Dragon Ball. Ce ne sera toutefois pas une grosse perte dans la mesure où chaque personnage s'avère dépourvu de personnalité construite (à ce stade, vous vous en serez douté, la fainéantise d'Amano n'épargnant rien du personne) et se limite à un ressort humoristique propre, répété à l'envie sur soixante-deux chapitres. Les personnages féminins sont toutes des potiches sans âme se tenant en retrait et tous ont une personnalité aussi complexe d'un programme informatique à deux variables. Et encore, je suis large.


Cela ne donnait déjà pas envie de persévérer dans la lecture, mais à l'arrivée du premier arc de longue durée, enfin, je comprenais. Je comprenais que ces soixante-deux premiers chapitres étaient encore les meilleurs instants que ce Shônen avait à me proposer, ceux qui justifieront que je mettrai deux plutôt que un en notation.
Le même scénario (je ne sais pas si le terme est adéquat dans la mesure où, de scénario, il n'y en a pas vraiment) sera à présent rejoué en boucle : un groupe d'antagonistes arrive sur le devant de la scène, on leur casse la gueule sans que le moindre sentiment de difficulté ne soit ressenti par le lecteur (ou éprouvé par l'auteur) et ils deviennent des alliés voués à servir de figurants à l'occasion dans les arcs à venir. Le même plat de merde resservi à chaque repas. Bon appétit.
Même une trame reposant sur le voyage temporel - thématique casse gueule s'il en est - engendre des effets soporifiques sur le lectorat. Akira Amano a réussi cet énième tour de force de mettre en scène un voyage dans le futur sans jamais faire entrer en jeu les problématiques liées à la temporalité. Ses personnages auraient voyagé dans le présent vers un autre lieu que cela serait revenu exactement au même. Tant de flemme... c'est à se demander si l'auteur n'était pas dans le coma lorsqu'elle a dessiné Reborn.


Des frissons m'ont par ailleurs glacé l'échine alors que l'agencement de combats bourrins et saturés de magies sans imagination issues de nulle part (à un moment donné on se résigne et on ne s'en plaint même plus) m'ont rappelé les heures les plus sombres de mes critiques, à savoir ma lecture de Fairy Tail. Mon calvaire devrais-je dire. Aucune originalité, un bête enchevêtrement de coups explosifs si récurrents qu'ils en deviennent banals, des personnages pour lesquels on ne ressent pas la moindre affection ; pas de doute, c'est Fairy Tail qui recommence. J'entends déjà les urgentistes venir m'administrer un sédatif afin de tempérer ma rage.


Intrigue, zéro, originalité, zéro, qualité des affrontements, zéro, personnages, zéro, dessins ? Sans que l'auteur n'ait non plus donné l'impression de dessiner avec le crayon entre les dents, il faut admettre que le rendu est quelconque, sans identité propre ; sans âme. La moitié de l'encre restituée sur les pages servant à représenter les attaques dévastatrices et sans origine ni justification (j'insiste, mais je n'en reviens toujours pas) prenant la moitié de chaque chapitre.


Des combats sourds sans enjeux qui se succèdent imperturbablement sur toute la durée du manga ; avec tout ça, pas étonnant que Tsuna n'ait pas le temps pour réfléchir à ses aspirations. Ce n'est pas une plaisanterie : le personnage principal n'a aucun but ni motivation à accomplir quoi que ce soit. Une sorte de déjection mollassonne qui se laisse porter par le flot des égouts de l'intrigue qui l'emporte. Au fond, à la lecture, vous vous en rendrez bien compte, il ne sait même pas pourquoi il se bat. Il ne veut pas rejoindre la famille Vongola, on ne sait même pas pourquoi il a été pressenti pour la gérer ; le flou intégral. Rien n'est pensé, rien est construit et pourtant, tout est dessiné sur quarante-deux volumes. Un chantier sans matériaux de construction ni main d'œuvre ni plan de construction, ça s'apparente à du néant dans l'idée, non ? Moi, j'appelle ça du Reborn.


Poncifs et lieux communs du Nekketsu au rendez-vous, évidemment. Quand on n'a pas d'idée pour assaisonner un plat, on le garnit avec les premières épices sous la main, aussi frelatées puissent-elles être. On ne sait par exemple rien de la mafia Vongola, mais on sait tout de même qu'ils sont gentils, hein. C'est la mafia de l'Amüüüür, avec un «A» Majuscule comme dans «Ah putain ce que c'est niais».
En clair, un festival de cliché et de fan-service sans originalité ni saveur. Les codes du Nekketsu classique sont tellement appliqués à la lettre sans la moindre once de dérogation que l'on peut prédire la teneur du prochain chapitre avec la précision d'un métronome. Il faut dire que ce sont toujours les mêmes chapitres rejoués en boucle, on n'a au final que peu de mérite à prévoir la suite. On se surprend toutefois à interrompre notre lecture au beau milieu d'un chapitre où quatre mille techniques cataclysmiques se sont enchaînées contre un antagoniste sans charisme (à la mesure du reste) cherchant à devenir un dieu invincible et on se demande alors «Quel rapport ça a avec la mafia, déjà ?». Puis la réponse nous revient alors. Rien n'a de sens ni ne cherche à en avoir et l'on reprend alors sa lecture dans un long soupir de consternation qui manque de nous vider les poumons de toute trace d'oxygène.


Si on me demandait de résumer Reborn, je dirais qu'il s'agit d'un manga où un type sans but a été coopté par un personnage sans cohérence et se bat contre des types qui ne savent pas trop pourquoi ils veulent le castagner. L'apathie la plus cynique ainsi que l'absolue léthargie comme fil directeur d'un Shônen. Il fallait oser.
La fin est sans imagination et même indigne d'une balise spoiler. Tsuna - fidèle à lui-même - est resté indécis jusqu'au bout et tout reprend comme au début du manga. C'est bien le premier Shônen que je lis où RIEN NI PERSONNE n'a évolué du début à la fin de l'histoire. La flemme est totale au point où rien n'a bougé ; ce n'est plus un manga mais une campagne de prévention contre la paresse. Après tout, Tsuna n'allait nulle part pour commencer, il aura au moins atteint sa destination.

Josselin-B
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le 22 mars 2020

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Josselin Bigaut

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