Publié pour la première fois en 2008 chez Tonkam, racheté depuis par Delcourt, cet ouvrage du maître de l’horreur japonais vient d’être réédité dans un format « prestige ». Junji Ito avait fait forte impression à Angoulême lors de l’exposition qui lui a été consacrée en début d’année, l’éditeur français ayant vraisemblablement profité de l’occasion pour remettre en lumière le travail de cet auteur.
La lecture de « Remina » laisse un sentiment contradictoire, tant l’on a quelque difficulté à retrouver le côté merveilleux de l’exposition qui imprégnait l’univers de l’auteur, celui-ci étant devenu très à la mode hors des frontières nippones, après plusieurs Eisner Awards ayant récompensé quelques-unes de ses œuvres, dont celle-ci en 2021.
Pourtant, l’histoire commence plutôt bien et parvient à captiver en suscitant l’anxiété chez le lecteur, intrigué par cette planète venue des confins de l’espace et se dirigeant tout droit vers la Terre. Malheureusement, ce récit qui s’inscrit dans le genre SF horrifique va très vite tourner au grand-guignol avec un enchainement de situations tout aussi invraisemblables les unes que les autres. Mené à un rythme ébouriffant, le récit comporte moult scènes qui suscitent plus le vertige que l’émerveillement. Cette gigantesque langue qui sort des entrailles de la planète Remina pour absorber la moindre météorite passant à proximité, ou cette crucifixion par une meute déchaînée de la jeune héroïne (et de son père juste avant elle) ont tout de même de quoi laisser pantois….
Certes, on ne pourra dénier à Junji Ito une imagination foisonnante, bien au-delà des limites du réalisme. Une imagination dans le rocambolesque et la terreur liée à une catastrophe planétaire de grande ampleur, qu’on ne peut s’empêcher de mettre sur le compte du traumatisme encore vivace lié à Hiroshima et Nagasaki. Pourtant, une question demeure : ce type de récit a-t-il été conçu à l’intention des grands ados — ou au mieux des jeunes adultes ? — en quête de sensations fortes ? Si on peut toujours apprécier le propos sur le terrifiant effet de meute ou la fragilité du statut de célébrité, celui de Remina (devenue soudainement une star pour être très vite clouée au pilori, ou plutôt sur une croix dans le cas présent), le récit comporte son lot de scènes gore et sadiques dont on ne saisit guère la finalité, si ce n’est de servir de catharsis à un auteur en proie à ses cauchemars. On peut supposer qu’il se soit inspiré de l’univers lovecraftien, mais le retranscrire dans ce mode exubérant et survitaminé pourra difficilement convaincre les admirateurs du romancier américain.
On ne s’attardera pas sur les dialogues insipides et qui plus est assez triviaux, ni sur les personnages aux contours psychologiques très superficiels. Le gros point fort restera le talent graphique de l’auteur qui, malgré tout le mal qu’on peut penser de la narration, réussit à produire des scènes spectaculaires, totalement saisissantes, dont certaines dégagent une étrangeté qui appartiennent bien à son univers fantasmagorique.
A noter que cette édition inclut en fin d’ouvrage une nouvelle en couleur de Ito, « Des millions de solitaires », figurant également dans le recueil « Histoires courtes » publié l’an dernier. Un récit plus « posé » et beaucoup plus inquiétant sur des meurtres en série, qui révèle également l’obsession de Junji Ito pour les enchevêtrements grouillants de corps humains réifiés.
« Remina » permettra au moins de mesurer le décalage entre le savoir-faire graphique de Junji Ito et son aptitude plus limitée à concevoir des narrations satisfaisantes. Pour mieux apprécier le travail de cet auteur, il faudra sans doute se tourner vers d’autres de ses productions moins tapageuses, telles que « Le Mort amoureux » ou sa revisite du chef d’œuvre de Marie Shelley, « Frankenstein ».