Avec ce dixième épisode de sa série emblématique Le Chat du rabbin, Joann Sfar propose un album qui lui permet encore une fois d’exprimer avec humour ce qu’il pense des conflits entre personnes et/ou communautés liés à la religion juive.


Désormais mariée et mère de deux enfants en bas âge, Zlabya est à Alger en compagnie de son mari, de son père le rabbin, le rabbin du rabbin ainsi que le Malka des lions et quelques proches. Tout ce petit monde se retrouve sur la plage. En surplomb, un groupe les observe et quelqu’un crie « Sales juifs ! », ce à quoi le rabbin ne veut pas répondre. Ce qui n’empêche pas un début de tension dans le groupe et tous finissent dans l’eau salée pour une bagarre. A la suite de quoi, le mari de Zlabya annonce qu’il va en Israël. Zlabya répond que ce sera sans elle ni les enfants. Le groupe étant toujours là, ceux qui sont déjà allés en Israël vont raconter cet épisode de leur vie pour édifier la petite assemblée.


La jeunesse du rabbin du rabbin


Honneur au doyen du groupe pour un premier épisode (le plus intéressant) qui se révèle assez long. Alors qu’il avait douze ans, le vote du décret Crémieux (24 octobre 1870), dont on apprend plus loin qu’il sera abrogé le 7 octobre 1940 (les juifs d’Algérie étant alors déchus de la nationalité française, on sait quel engrenage se mettait alors en place…), lui et sa famille devenaient français. Or, dans l’immeuble où ils habitaient, d’autres conservaient leur nationalité (Italiens, Arabes notamment), modifiant les rapports entre eux et gênant en particulier sa mère. Du fait de ce malaise, il accepte alors de suivre une Anglaise qui le prend sous son aile et l’emmène à Jérusalem. Ils y observent une telle confusion entre juifs, musulmans et chrétiens qu’elle l’abandonne bientôt pour chercher davantage de sérénité en Afrique noire.


Au tour de Zlabya


Encore plus long, le deuxième épisode permet à Zlabya d’évoquer la période où, avec ses cheveux courts, elle passait pour un garçon quand elle battait la campagne coiffée d’une casquette, avec son amie Oreillette. Tombées sur un chasseur cruel avec son chien, Zlabya prend la tangente en compagnie d’un promeneur nommé Vincenzo, opportunément intervenu. Après diverses péripéties, elle se demande toujours s’il va lui proposer le mariage. C’est dans un kibboutz où elle aura appris à devenir une femme indépendante et libre qu’elle finit par le laisser.


L’histoire du rabbin


Dans le troisième épisode (anecdotique), le rabbin explique les difficultés auxquelles il a dû faire face, quand madame Mouchnino l’a sollicité pour assumer l’ultime volonté de son mari : être enterré en Israël. Après avoir réglé tous les détails pratiques, il avait finalement embarqué le cercueil sur un navire anglais. Or, le capitaine lui a refusé sa demande de débarquer à Tel-Aviv : « Nous avons l’ordre de limiter l’immigration juive. » Sa réponse, inutile et toute de bon sens : « Mais c’est un juif mort. »


Jamais en mal d’inspiration, Joann Sfar signe un album de 86 planches (record pour la série) où on peut remarquer le même genre de qualités et de défauts qu’à l’épisode précédent (La Reine de Shabbat – 2019). Ne voulant pas perdre le fil de son inspiration, il travaille rapidement. Cela se fait au détriment de détails qui pourraient se révéler appréciables. Ses cases sont à nouveau tracées à la va-vite (trois bandes par planche, avec une seule exception pour la parenthèse de la planche 74 mettant en parallèle l’abrogation du décret Crémieux avec la déclaration Balfour) et son dessin se concentre sur les personnages et l’action. L’aspect esthétique se relève donc trop souvent décevant. Il est heureusement relevé par les couleurs agréables de Brigitte Findakly. On note que le chat n’intervient plus tant que cela (il ne surprend plus), même s’il se permet encore quelques remarques bien senties. Exemple avec celle-ci : « Adulte, c’est quand on cesse de croire qu’il existe un endroit où les choses vont bien. » Le dessinateur se permet d’ailleurs une petite invraisemblance en le faisant vivre aussi longtemps que Zlabya. Quant à celle-ci, il la traite sans ménagement, la présentant comme une sorte de rombière dans sa maturité (voir l’illustration de couverture). On se demande même comment il faut prendre le fait qu’il la dessine invariablement avec sa robe rouge à losanges jaunes qu’on lui connaît bien.


Joann Sfarr, un provocateur qu’on aime bien


On remarque que l’auteur n’a pas pu s’empêcher d’intituler cet épisode Rentrez chez vous ! (alors que ce devait être Retournez chez vous annoncé à la fin de l’album précédent), qui fait aussi bien référence à ce que de nombreux juifs ont entendu à un moment ou l’autre de leur existence, mais aussi à la période où il a concocté cet épisode (le confinement où nous avons tous entendu en boucle l’impératif « Restez chez vous ! »). Au passage, il ne se gêne pas pour faire dire au rabbin : « L’Angleterre, quand elle doit gérer un territoire avec des Juifs et des Arabes, elle promet un pays à chacun des deux, puis elle les laisse se débrouiller. » Une situation qu’il compare avec la politique de la France du décret Crémieux. Sa conclusion : « C’est kif-kif. Dans les deux cas, à la fin, tout le monde se déteste. » La série devrait se poursuivre avec un album intitulé Alleluia dans l’autobus.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 30 oct. 2020

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