J'ai toujours été réticent à lire du Joe Sacco, je ne sais pas trop pourquoi. Un à priori sans doute. J'avais peur au vu des sujets, que l'auteur ne joue trop d'un misérabilisme facile. En fait je me suis complètement planté.
Reportages est donc une série de reportages, de courtes histoires/documentaires; Joe Sacco voyage pour divers magasines, ou maison d'édition, et rapporte de nombreux témoignages sur les conditions de vie à l'étranger. Ce qui est très fort, c'est que l'auteur ne perd jamais de vue qu'il est journaliste avant tout et évite le plus souvent de laisser son point de vue contaminer le discours; des convictions, il en a, et il ne les cache pas, mais il reste neutre, c'est à dire qu'il ouvre le débat. Il ne va pas se contenter d'interroger les opprimés et de balancer des briques aux dirigeants, non. Il les interroge les deux camps avec autant de sincérité, il essaie de comprendre chacun des points de vue.
Ainsi quand il parle du conflit Israelo-Palestinien, il interroge les deux camps; de même lorsqu'il va en Irak, il veille tant à montrer les Irakiens que les soldats américains, annihilant ainsi toute forme de manichéisme. C'est un procédé assez schizophrène car des gentils peuvent devenir soudainement les pires vermines au monde et vice versa.
Graphiquement je suis impressionné par ce travail. De part mes à prioris sur le métier de journaliste, je penserais qu'un article doit être écrit au plus vite et que , par conséquent, le dessin 'avèrerait minimaliste et essentiel; mais ce travail ci, mêlant écriture soignée et dessin documenté, a demandé beaucoup plus de temps. D'ailleurs, l'auteur note la date de réalisation à chaque page, ce qui permet d'avoir une diée de son rythme. Pour en revenir, donc, au trait, il est hyper détaillé: les décombres, les nuages de fumée, les champs, tout fourmille de détails toujours lisibles. L'auteur aime les fioritures, ça se voit jusque dans les effets d'ombrage etc. Il semble également suivre la méthode Scott McCloud puisque, en guise d'identification, seul son personnage reste dans le style gros nez. Pour le reste, je dirais qu'on se rapproche bien du style réaliste des graphics novels américains. Par moment il change un peu son trait, plus froid, plus droit, ou au contraire un peu plus rond et incertain; parfois j'avais même l'impression de ressentir l'influence de Crumb...
Son découpage est simple, sobre mais diablement efficace! Le dessin et le texte se relaie en information. C'est une bande dessinée à lire très lentement; l'auteur n'a que peu de place par sujet (il est juste satisfait quand on lui octroie 40 pages) et il compte bien s'en servir! Si je devais faire un reproche au niveau de son découpage, ce serait que parfois l'auteur ne peut empêcher quelques mises en scène dramatiques (plan séquence signifiant le zoom lorsqu'un personnage évoque de terribles souvenirs... ). Ces plans me gênent car tout d'un coup j'ai l'impressionq ue l'auteur veut échapper à sa rigueur journalistique et se lancer dans la dramatisation d'un évènement. Je trouve cela indélicat de sa part parceque ça casse son système et puis en plus ça ne semble pas pertienent: des témoignages difficiles il en a plein, pourquoi un sur dix seulement bénéficie de ce traitement faisant appel au misérabilisme? A défaut d'être totalement absent, l'effet est au moins très rare.
Bref, un auteur que je découvre et dont je veux suivre davantage de son parcours; une bande dessinée engagée et qui veut vraiment servir à quelque chose politiquement parlant, ça fait du bien finalement. C'est donc conquis à la fois par la narration éclatée et le dessin réaliste fourmillant de détails que je referme la dernière page. A lire!