Un duché en proie à un coup d’Etat, des auberges munies de passages secrets et … des pigeons.
Pour un peu, on pourrait presque croire que le titre de cet album – Retour en fanfare – qui fait référence au retour d’Herbert sur ses terres de Vaucanson (et non pas au retour du Gardien et de sa ménagerie de monstres dans le Donjon, comme on avait pu l’imaginer juste avant la parution de l’album !), fait en réalité davantage référence au retour à l’atmosphère typique de la sous-série Donjon Zénith, c’est-à-dire cette ambiance joviale toute en légèreté qu’on aime tant, pleine de péripéties rocambolesques et d’humour décalé à base de gags hilarants, de répliques tordantes et de situations et personnages loufoques, dont ce sixième Donjon Zénith est pleinement imprégné. Car si Un mariage à part (DZ5) détonait par son atmosphère un tantinet trop lourde et un scénario plus cohérent et moins improvisé, force est de constater que Retour en fanfare revient aux fondamentaux avec un cocktail humour décapant / action farfelue typique de la branche Donjon Zénith.
On a donc droit à un épisode dense, bourré de suspense et de rebondissements, qui nous en apprend énormément sur l’univers du Donjon. On découvre le duché de Vaucanson à l’époque Donjon Zénith avec son ambiance médiévale particulièrement agréable ; plein de nouveaux personnages qui s’intègrent très bien à la série sont introduits (mention spéciale à Poustiquet, le petit fonctionnaire responsable du pigeonnage) ; le scénario révèle certaines informations de première importance (notamment sur les Objets du Destin) et de manière plus globale, ce tome exploite tellement d’éléments semés dans les albums antérieurs et lance tellement de pistes pour de futurs Donjon que cet opus est relié à une multitude d’autres albums de la saga.
La construction du scénario est en effet tellement remarquable qu’on peut ainsi lire cet album avec autant de fluidité soit dans l’ordre « normal » des Donjon Zénith, soit après (ou juste avant) certains Donjon Monsters comme Le grand animateur (DM11) et Le grimoire de l’inventeur (DM12) qui se passent tous deux à Vaucanson et qui traitent du sujet des automates (en partie exploité dans Retour en fanfare), soit même comme un préquel à la sous-série Donjon Crépuscule (et notamment l’album Le volcan des Vaucanson (DC102), où pas mal d’éléments trouvent leur origine dans Retour en fanfare).
Là où Sfar et Trondheim font aussi très fort, c’est qu’ils arrivent à élaborer un scénario qui mène de front trois intrigues : celle d’Herbert (qui cherche à contrecarrer les plans de l’intendant de Vaucanson et à sauver ses parents), celle de Marvin (qui cherche à conquérir le cœur de Pirzuine) et celle du Gardien (qui cherche une solution juridique pour récupérer le Donjon). Et pour ne rien gâcher, toute cette folle aventure baigne dans un humour très drôle, entre situations comiques décalées (Marvin qui se bat saoul et qui fait n’importe quoi), personnages amusants (Poustiquet forever !), gags irrésistibles (le coup des pigeons voyageurs et des messages secrets) et répliques hilarantes (« Et mon cul, c’est du poulet ? »).
Au dessin, Boulet confirme son approche plus « spectaculaire » de l’univers du Donjon, avec des personnages moins naïfs, plus grands et plus musclés et des décors plus détaillés que ce que faisait Trondheim. Si l’humour visuel en pâtit un peu, son trait clair et aéré se révèle en revanche idéal pour illustrer les nombreuses scènes d’action qui parcourent ce tome, en renforçant le caractère épique des péripéties. Que ce soit pour les bagarres dans les bars ou sur les toits entre les héros et les soldats de Vaucanson, pour le duel à mort dans l’arène entre Herbert et son ancien instructeur, pour les poursuites en automates volants et surtout pour les deux Tong Deum de Marvin qui sont absolument monstrueux (et qui sont les Tong Deum les plus mémorables de la saga pour moi), tout apparaît dynamique, héroïque, plein de panache.
Graphiquement plaisant et scénaristiquement parfait, Retour en fanfare est pour moi l’un des albums les plus marquants de la série.