Retranchés
5.8
Retranchés

BD de Cafard (2008)

Première et unique bande-dessinée de l’artiste Cafard, Retranchés raconte l’errance insurmontable de Jérôme, trentenaire récemment largué par l’amour de sa vie et qui, ne trouvant plus goût à rien, ne sait comment rebondir, comment avancer là où tout semble illusoire. Un ouvrage intelligent par la forme du récit qui vient très précisément illustrer



les vagabondages dépressifs de l’âme



trop meurtrie pour continuer de se projeter dans le réel.


Le dessin est très travaillé, ombrages marqués et couleurs expressives. Les personnages offrent



une galerie de gueules cassées, rafistolées



tant bien que mal, et illustrent à merveille l’état de charnier incohérent autant qu’envahissant de l’âme déchiquetée du personnage principal. Récit illustré en allers-retours entre un cœur de Paris contemporain et les dégueulasses tranchées fantasmées d’une époque napoléonienne mâtinée de cicatrices steampunks, si le dessin séduit largement, c’est avant tout l’art superbe des raccords entre ces deux univers qui fait la fluidité évidente de la narration et met en lumière les parallèles terribles entre le front extérieur du conflit, boueux et inextricable, et le front intérieur des pensées embourbées du loser contemporain qui s’égare là, comme ce raccord magnifique, d’une case à l’autre, de cette tranchée insalubre perdue dans une campagne anonyme sous le brouillard à celle de travaux dans le sol parisien près desquels l’homme erre sans savoir s’en extirper.


Le scénario développe ainsi, de la réalité à l’allégorie,



le défaitisme intense de la solitude



de ce célibataire inconsolable et l’immobilisme incertain et fragile de cette guerre improbable aux ennemis invisibles, absents, où les troupes de gueules mécaniques se doivent à tout prix de tenir position face à l’inconnu malgré les limites de leurs capacités physiques autant qu’émotionnelles et intellectuelles. Et raconte alors



le bourbier insondable et inextricable de l’échec sentimental,



l’impression de vacuité et d’insignifiance au monde qui s’y lie, sans espoir de se relever, sans lumière sur un horizon devenu morne, quotidien inlassablement répété dans les tentatives infructueuses d’un impossible oubli : l’amour, toujours, laisse de vives cicatrices.



Tu es tombé sans nom, sans gloire, sans même une bataille. Et tu


cherches encore un sens à ta vie.



Comment s’extraire de ses propres retranchements ?
Cafard ne tranche pas, se contentant de dépeindre l’errance et le doute, l’insécurité de l’individu face à ses propres espoirs déçus. Pour autant, Retranchés vise juste en illustrant de main de maître



ce propos désabusé qui touche à l’universel.



Que ce soit au scénario ou à la narration graphique, l’auteur fait preuve de sensibilité et d’intelligence en posant cette question à laquelle jamais l’homme frustré par l’échec ne sait réellement comment répondre avant d’avoir lui-même disséqué ses propres erreurs, ravalé sa fierté et ses rêves. Avant d’abandonner les projections pour se laisser rattraper par le réel et s’extirper de ses propres tranchées au cœur.

Créée

le 1 déc. 2017

Critique lue 92 fois

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