Retropolis
6.5
Retropolis

BD franco-belge de El Diablo et anne-laure To (2012)

Uchronie Confuse de l'Instinct de Survie

Au cœur d’une grande ville anonyme, visiblement occidentale, entre passé rétro et



uchronie steampunk sous autoritarisme relatif,



l’auteur confirmé El Diablo offre un scénario à la jeune illustratrice Anne-Laure To pour un album original et hors-norme : Retropolis, sans renouveler le genre, impose un univers à part sous le trait de la jeune dessinatrice, et tente, maladroitement, de développer quelques thèmes autour de



l’affranchissement de l’être



aux inévitables impératifs sociaux qui le mettent sous le joug d’un morne quotidien sans avenir.


Après la guerre, dans un sombre univers hétéroclite où se mêlent autant de rappels historiques autour des dérives du fascisme et des inégalités entre l’ordre et le stupre, que d’aspects steampunks posés là pour jouer le décor de manipulations irraisonnées, le récit suit l’existence fragile et soumise d’une jeune chatte décidée à comprendre les inquiétantes et nombreuses disparitions de ses sœurs dans l’obscurité des bas-fonds. L’intrigue se tisse et se détend autour du maintien d’un ordre strict où chaque citoyen se doit de respecter sa place et son rôle dans l’organigramme immense d’une société au sein de laquelle les faux-semblants de liberté sont la meilleure assise d’une ferme dictature. Bientôt les disparitions sont reliées à de viles expériences scientifiques et psychologiques, façon expérimentations nazillonnes, et la relation extraordinaire de l’héroïne, entre innocence feinte et incompréhension du schéma général, et d’un sale rat de laboratoire, qui ne se soumet à l’ordre établi que pour mieux frayer son chemin égocentré, vient doucement enrayer la mécanique intouchable du pouvoir.


Le dessin d’Anne-Laure To propose un véritable univers particulier et, dans l’ensemble, séduisant : c’est neuf, sombre et réellement unique. Coloré et vif, sombre et dynamique, c’est avant tout ce sens d’une



narration graphique alerte et emportée



qui entraîne le lecteur. Le bestiaire y est riche de diversité, les portraits anguleux vibrent sous un trait presque esquissé, fin et cassant. Toute l’atmosphère du récit y est, entre pop art déglingué et influence du comics le plus extravagant sous une couche de fantastique incrustée dans le réel. L’album est un vrai plaisir des yeux pour tous les amateurs de nouveautés inattendues.


Malheureusement le scénario d’El Diablo reste par trop bordélique : le récit tente trop de directions et ne réussit pas à susciter le moindre attachement aux personnages, ni à l’héroïne, indécise et tâtonnant son parcours sans but précis autre que celui d’une basse vengeance inutile à laquelle elle semble elle-même ne semble pas croire, ni aux quelques antagonistes principaux, bien trop caricaturés dans leurs caractères et dans leurs attentes pour n’être autre chose que des archétypes sans relief. L’ensemble laisse alors l’impression de



survol d’un récit qui manque atrocement de développement



pour laisser s’exprimer un quelconque message dessous l’apparente confusion.


Retropolis reste un très bel album au sein de la collection Kstr des éditions Casterman, mais laisse le lecteur sur sa faim, entre légère déception et plaisir non comblé. L’évocation d’une Allemagne nazie qui aurait gagné la guerre s’y retrouve mais l’ambiance générale de l’uchronie tombe à plat avec l’aspect bas-fond de comics américains vus et relus. L’impression générale laisse un goût d’inabouti un peu brouillon, comme si le volume ne restait qu’une piste de recherche, une esquisse trop vite livrée d’un travail qui mérite clarifications, raccords et approfondissements, qui mérite une écriture plus complexe, un réel travail sur les personnages, et surtout, l’envie consciente et mise en lumière d’un message à faire passer là où derrière la révolte de l’héroïne rien d’universel ne transparaît, sinon



l’imbécile égocentrisme instinctif et primal de l’homme



trop perdu pour faire ses propres choix et construire sans précipitation.

Créée

le 1 déc. 2017

Critique lue 172 fois

Critique lue 172 fois

Du même critique

Gervaise
Matthieu_Marsan-Bach
6

L'Assommée

Adapté de L’Assommoir d’Émile Zola, ce film de René Clément s’éloigne du sujet principal de l’œuvre, l’alcool et ses ravages sur le monde ouvrier, pour se consacrer au destin de Gervaise, miséreuse...

le 26 nov. 2015

7 j'aime

1