Connu pour son ambitieux projet pluridisciplinaire « Melvile », une BD déclinée en spectacle-concert, Romain Renard, artiste touche-à-tout, a décidé ici de rendre hommage à la saga « Comanche » de Greg et Hermann, née quelques années avant « Jérémiah », en lui donnant une suite en forme d’hommage. Il nous gratifie même de trois titres composés pour l’occasion (Renard est aussi musicien), que l’on peut découvrir à partir du QR code figurant sur l’ouvrage.
A l’instar de « Melvile », c’est d’abord l’œil qui est attiré par « Revoir Comanche ». L’univers de Romain Renard est unique, littéralement ensorcelant. L’auteur belge sait insuffler une part de mystique dans son dessin, qu’il a cette fois voulu en noir et blanc. Cette Amérique qui sert de cadre à ses histoires est ici intemporelle, antérieure à la conquête de l’Homme blanc — même si on est dans les années 1930 —, et permet à Renard d’évoquer en filigrane la situation des Amérindiens dépossédés de leurs terres et les souillures infligées par les conquérants. Créer ce « sequel » à la série culte de ses compatriotes, considérés comme des maîtres du neuvième art, apparaît ainsi presque comme une évidence.
Romain Renard nous comble de ses paysages crépusculaires en clair-obscur. L’ouvrage s’apparente à un road-movie dessiné, grouillant de références au cinéma d’avant-guerre et à la littérature US, celle des John Steinbeck ou des Jim Harrison. De la Californie au Wyoming, Red Dust et Vivienne Bosch vont traverser à bord de leur « Ford A » plusieurs Etats de l’Ouest sauvage, en passant par le Kansas où sévissait le Dust Bowl* à cette époque, donnant lieu à des vues spectaculaires travaillées au numérique. Plus classique et réaliste pour les personnages, le dessin est élégant et les regards particulièrement expressifs. Si le concept pourrait faire un peu cliché, on ne peut nier la beauté de l’objet vis-à-vis duquel il serait difficile de faire la fine bouche. Tout au plus pourra-t-on objecter le classicisme du scénario, qui néanmoins tient la route et réserve un dénouement inattendu, précédant une fin tragique mais d’une poésie touchante.
« Revoir Comanche », c’est une histoire de vengeance, un western-thriller lent mâtiné de fantastique où les fantômes qui harcèlent Red Dust, héros sur le retour, sont aussi un peu ceux qui n’en finissent pas de hanter les États-Unis, ce pays des extrêmes qu’on admire pour ses grands espaces et ses romanciers, et que parallèlement on déteste pour son arrogance quasi puérile, échafaudée sur un déni frôlant la névrose, celle du Blanc "civilisateur". Indiscutablement une bande dessinée qui se détache dans la production de cette année.
*A lire sur le sujet, la BD d’Aimée de Jongh, Jours de sable