Un peu trop loin des étoiles
Delcourt entreprend de rééditer en 3 tomes la série Rising Stars, qui marqua les esprits il y a une bonne dizaine d’années et dont les lecteurs francophones n’ont jamais pu lire les ultimes chapitres.
Lorsque le scénariste J. Michael Straczynski se lance en 1999 dans Rising Stars il a derrière lui un beau succès télévisuel, Babylon 5, mais il est encore relativement novice dans le monde du comic. À la lecture des premiers épisodes on sent sa volonté d’en découdre et de produire une histoire de grande envergure.
En 1969, une comète explose non loin de la petite ville de Pederson aux États-Unis. Quelques années après, tous les enfants qui se trouvaient in utero au moment de l’impact ont développé des capacités supranaturelles... Ils sont ainsi 113 bambins, appelés les « Specials », dont les autorités ont surveillé la croissance avec appréhension. Une fois adultes certains sont devenus des super-héros, d’autres des super-vilains, et la plupart cherchent à vivre une vie normale... Jusqu’à ce qu’une succession de meurtres semble cibler leur communauté. Le plus mystérieux d’entre eux, surnommé Le Poète, décide alors de mener l’enquête. Il découvre que lorsqu’un Special meurt, son énergie est répartie sur les autres.
Les enfants de la comète
Voilà une ouverture qui fait valser les références. Côté écrans, on pense tout d’abord à un mélange de Highlander avec Le village des damnés, excellent film anglais de 1960, remaké par John Carpenter en 1995. Côté comic, la référence est évidemment Watchmen. En effet, depuis 1986, tout meurtre de super-héros évoque inévitablement l’œuvre fondatrice d’Alan Moore. La parenté est ici renforcée par la narration en voix-off, la pluralité des points de vue et l’insertion de coupures de presse pour densifier l’univers créé.
Straczynski, comme Moore, a l’ambition d’apporter une réflexion politique sur le monde dans lequel il vit. Ce premier acte est en ce sens le plus réussi de la série. Sa transposition de la chasse aux sorcières maccarthyste est assez frappante et sa réflexion sur la commercialisation de l’image des Héros très pertinente. Hélas, si l’illusion d’une certaine profondeur prend corps dans ce premier tome, les épisodes suivants lèveront un peu le voile : les conceptions du scénariste restent marquées par une certaine naïveté, voire une certaine niaiserie. Ses dialogues, lustrés par son expérience télévisuelle, prêtent parfois à sourire à force de grandiloquence ou de sentimentalisme. Les efforts de nuances qu’il avait introduits au début disparaissent et ses explications psychologiques se révèlent simplistes : l’enfance de chaque méchant est ainsi marquée par un viol. De plus son absence de vision économique et sociale réelle rend peu crédibles les entreprises utopistes de ses personnages.
Promesses non tenues
Il faut bien reconnaître que le créateur n’a pas été aidé par son équipe artistique : difficile de porter un récit vers les cieux quand on est entouré d’une telle bande de lourdauds. Dans ce premier tome, Keu Cha et Christian Zanier font ressortir les défauts du script, à force d’effets appuyés, de physionomies approximatives et de tics graphiques.
Cependant la série demeure agitée en profondeur par un questionnement incontournable : de ses enfants les plus prometteurs, qu’a fait la société ? Comment épanouir ses vertus dans un environnement hostile suscitant la méfiance et la division ? Longtemps retardé et longtemps attendu par les fans à cause d’un différend entre l’auteur et Top Cow, son éditeur, le final n’est pas aussi mauvais qu’on l’a souvent dit. Il est empreint de grandeur tragique et la noblesse et l’émotion finissent par infuser des personnages qui ont perdu leurs poses. Si l’œuvre vaut surtout pour ses promesses non tenues, elle fut toutefois, pour de jeunes lecteurs gavés de titres musclés mais décérébrés, un excellent pont vers une bande dessinée plus mature.
Vlad bapoum