Röd i Snön
7.8
Röd i Snön

Roman graphique de Francisco Torres Linhart (2024)

Le sous-titre indique qu’il s’agit d’un « nordic noir » de Linhart. Effectivement, en suédois Röd i Snön signifie littéralement « Rouge et neige » ou plus exactement « Rouge sur la neige » ce qui correspond parfaitement. Quant à l’auteur, malgré son nom, il est… Espagnol !


L’objet lui-même, la BD se présente sous un format à l’italienne assez inhabituel qui contribue (avec l’illustration de couverture) à retenir l’attention. Pris en main, il procure immédiatement des sensations agréables, avec sa couverture souple qui permet d’ouvrir ce volume relativement épais (242 pages non numérotées) sans l’abimer. De plus, en le feuilletant, on sent d’emblée une ambiance particulière avec des éléments inhabituels et un style qui donnent envie de se plonger dans la lecture. Ainsi, les deux premières planches, sans dialogue, sont déjà très caractéristiques, avec deux dessins en format type cinémascope pour la première et deux bandes et six dessins en tout et pour tout pour la suivante, avec des personnages qui s’observent. La première planche nous met face à un bâtiment (en vue large, légèrement en hauteur) dont l’observation attentive nous apprend qu’il s’agit d’un petit aéroport, avec sa tour de contrôle minimale et une queue d’avion qui dépasse sur sa gauche. Le titre du chapitre 1 indique le lieu : Karlsbacka (Suède), visiblement un patelin paumé. Y débarque un homme au crâne dégarni et à la barbe blanche. Il est détaillé par un petit personnage grimaçant : bonnet, yeux ronds et cigarette au bec. Un gamin qui l’attend à-côté d’une camionnette. Le détail qui donne immédiatement à réfléchir, c’est que sur l’illustration de couverture, le chauve qui atterrit à Karlsbacka est assis sur un canapé avec son double. L’indication « nordic noir » incite à se demander s’il ne s’agirait pas d’une référence à Tintin avec les Dupondt.


Une étrange affaire


Le chauve s’appelle Arne Gunnarsson. Il est inspecteur d’assurances et vient de Stockholm pour une affaire liée à un certain Jakob. Après une nuit perturbée, Arne se présente au poste de police du coin. Il y rencontre l’adjudante Anya Lundberg qui tient le poste à elle seule et qui lui explique l’affaire, du moins les éléments dont elle dispose. En mars, Jakob Olsson est venu la voir pour lui remettre une note qui mentionnait que lui, Jakob Olsson avait une communication importante à faire à l’ensemble des habitants de Karlsbacka. Dans sa note, il indiquait une date et un lieu. Il était vital que tout le monde assiste à cette réunion où il s’expliquerait. Or, le jour dit et à l’heure dite, si tout le monde était bien présent, Jakob Olsson s’est fait attendre et n’est jamais venu.


Après quelques recherches, on l’a retrouvé mort dans un coin perdu de la forêt, la figure écrabouillée par des coups portés à l’aide d’une grosse pierre, le corps amputé des deux mains, celles-ci introuvables depuis. Au village, tout le monde pense connaître le coupable : Hölger, le voisin irascible de Jakob, parti le premier de la réunion avortée. Il faut dire qu’Hölger est un cas, avec ses tendances violentes, son caractère de cochon (d’ailleurs, il en élève) et sa façon d’interdire à sa fille Elsa de sortir de leur maison (raison pour laquelle, probablement, il part le premier en la faisant monter dans leur camionnette sans ménagement). Pourtant, Elsa avait un petit ami plutôt bien reçu chez les Hölger, mais ça c’était avant la disparition de la mère d’Elsa. Cette femme ne s’entendait pas du tout avec son mari et quand elle a disparu, tout le monde a considéré qu’elle était partie refaire sa vie loin de lui. De toute façon, plus personne n’a jamais eu de ses nouvelles depuis.


Un enquêteur particulier


L’enquête d’Arne l’amène à aller voir successivement tous les habitants de Karlsbacka. C’est l’occasion de se faire une idée des mentalités, relations diverses, faits marquants, etc. C’est aussi l’occasion de découvrir de nombreuses bizarreries, chez la plupart des locaux, mais également chez Arne.


On découvre ainsi qu’il a des tendances violentes qui se manifestent par des sortes de bouffées au cours desquelles il se voit réagir à certaines situations comme il le voudrait vraiment s’il en avait le courage. Mais cela reste régulièrement au stade du fantasme. Tout cela date apparemment de son enfance où il fut un élève solitaire et malmené par les autres à l’école. Jusqu’au jour où il s’est trouvé un ami, le genre si discret que lui seul en profite, même si cela ne va pas sans quelques moments de tension. Bref, si les habitants du coin sont un peu givrés, Arne n’est pas en reste. Il a également des flash où il voit des animaux à la place de personnes. C’est ainsi qu’il observe un renard qu’Anya la policière voit régulièrement, pour une relation semble-t-il aussi affective que s’il s’agissait d’un membre de sa famille proche.


Qu’en penser ?


En ce qui concerne l’enquête, le premier chapitre qui occupe plus de la moitié de l’album se clôt sur une décision amère, inévitable au vu des circonstances. Mais, de retour à Stockholm, Arne poursuit sa réflexion, car la conclusion ne le satisfait pas. Tant mieux, nous aurons quelques surprises. En tant qu’habitué des histoires policières, je considère que quelques indices peuvent mettre sur la bonne voie. Mais, on est trop pris à la lecture pour prendre le recul nécessaire. C’est dire l’efficacité du scénario. Il faut dire qu’on a affaire à un auteur chevronné qui, sans trop chercher à nous égarer sur des fausses pistes, enchaine suffisamment de révélations toutes plus inattendues les unes que les autres, qu’on a tendance à lire en suivant la réflexion d’Arne plutôt qu’en cherchant à réfléchir avant lui. En ce qui concerne le dessin, il tend vers le minimalisme, aussi bien pour les décors que pour les personnages. Mais en y regardant de près, tout cela colle avec le propos et l’ambiance, car Linhart joue également sur les couleurs (irruption du rouge dans les situations de tension et pour toutes les situations bizarres), alors que sinon dominent des nuances entre le blanc de la neige et le gris du ciel. Les cadrages, les attitudes et expressions suffisent largement pour un rendu qui fonctionne (excellente lisibilité graphique). N’oublions pas cette intrusion du fantastique qui passe sans doute mieux avec un dessin qui contribue à l’ambiance bizarre qui s’instaure du fait des lubies des personnages et du caractère étrange des situations. Linhart se donne également le temps pour instaurer son ambiance avec des moments qui ne sont pas en lien direct avec l’intrigue. Ainsi, les flashbacks sur le passé d’Arne nous sortent de l’atmosphère bizarre de Karlsbacka pour nous immerger dans le malaise profond des origines de sa personnalité. Quoi qu’il en soit, ce que nous montre Linhart de la Suède profonde amuse et intrigue. Et l’enquête se révèle évidemment plus complexe que ce qu’on imagine en l’abordant.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
8
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le 3 mars 2024

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