Rorschach
7.5
Rorschach

Comics de Tom King et Jorge Fornés (2020)

Depuis quelques temps, j'ai pris l'habitude d'acheter les one shots de Tom King les yeux fermés, c'est presque devenu un TOC, un rituel. Je ne prends pas beaucoup de risques, notez : avec ce type au scénario, ce n'est pas non plus un saut de la foi, j'ai la garantie qu'au pire, ça aurait pu être meilleur, ce qui ne serait pas si mal en soi, pour ne pas dire carrément bon - par défaut.

Bien m'en a pris, encore.

Car Rorschach n'est pas qu'une simple BD. Pas qu'une énième histoire de super héros, avec tout le respect que je leur dois.

Rorschach est un roman graphique que l'éditeur lui-même a bien du mal à vendre (ce qui est déjà gage de qualité, ironisera-t-on), se fendant d'une préface belle, mais hors propos, et d'un dos de couverture qui ne l'est pas moins, tentant maladroitement de raccrocher ce titre aux wagons du Watchmen de Moore et de la série de Lindeloff, sans grand succès ni réelle pertinence.

Rorschach est un comics sur la haine ordinaire, tente-t-on de nous convaincre, le thème est à la mode.

En aucun cas. C'est peut-être bien tout le contraire.

On tente de nous convaincre, aussi, que ce spin-off partage l'antimanichéisme des oeuvres dans les traces desquelles il se glisse, mais c'est loin de la vérité car celles-ci sont manichéennes, comparées à ce Rorschach, puisqu'elles choisissent un camp, puisqu'elles ont leur bien et leur mal...

Un Rorschach qui n'en porte que le nom, d'ailleurs, au grand dam des fans qui crient à la trahison (avec raison, seulement on connait King, à force, on sait que c'est là sa marque de fabrique). Hormis quelques allusions rapides à l'univers Watchmen, dans le cadre duquel le récit s'insère sans l'exploiter et dont il fait une métaphore de l'Amérique post 11 septembre, l’œuvre trace sa propre route dans un monde ordinaire, jumeau du nôtre. Jusque dans les détails

Rorschach ne parle ni de la haine, ni de Watchmen, ni du fascisme super-héroïque. Rorschach parle des gens. Des gens ordinaires. De vous, de moi. Ceux qui ont un grain quelque part. Ceux qui se pensent sains d'esprit. Ceux qui veulent lutter pour un monde meilleur. Ceux qui préfèrent fermer les yeux. Ceux qui font leur boulot. Ceux qui veulent voir le monde brûler. Ceux. Tous.

Le Rorschach de l’œuvre, c'est l'humanité, et chacun y verra ce qu'il voudra y voir parce qu'elle n'a pas une forme définie, figée, tous comme les vérités qui la façonnent.

Rorschach nous parle de peur, de colère (plus que de haine), il parle de ce que l'on est prêt à faire pour protéger ce que l'on aime, ceux que l'on aime, ce qu'on croit juste, il parle de choix, d'engagement, d'attentisme... de bande dessinée, également. Du pouvoir de la fiction sur la réalité. Du 11 septembre, évidemment. De l'expérience de King en tant qu'agent de la CIA. De ce recul qu'il y a acquis, ou qu'il a toujours eu, par lequel le noir et le blanc se brouillent avec les jugements de valeur, et où tout devient gris.

Regarder notre vérité en face, suggère-t-il, c'est fixer l'abîme, le masque de Rorschach, la tâche sur le tissu comme au fond de nos cœurs.

Délaissant vite son embarrassant (car trop illustre) héritage, King embarque le lecteur dans une enquête de terrain à l'ancienne, aussi classique qu'efficace, dont l'action est absente (on n'est pas là pour divertir les impenseurs) et où la cogitation règne en maitresse, tandis que l'auteur s'appesantit plus sur la dimension humaine du crime qu'il cherche à élucider et de tous ceux qui s'en sont rendus complices, volontairement ou non, pour le meilleur et pour le pire. Démontant l'engrenage un rouage après l'autre comme s'il procédait à une autopsie sociale.

Bien qu'austère, le dessin et la colorisation vont comme un gant à ce roman noir d'un autre temps et à la fois, du nôtre, intemporel, puissant et ambigu. Rude, sombre, sans pitié mais avec ses lueurs d'espoirs et ses moments de grâce.

Pas de morale ici, ni de leçon martelée jusqu'à la migraine. Juste un constat lucide, sans jugement de valeur. Une analyse sans complaisance. Un portrait collectif. Un miroir tendu.

Un test de Rorschach.

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le 7 nov. 2023

Critique lue 552 fois

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Liehd

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