Le chant des Stryges est une série qui commence à avoir un certain âge. Elle est née il y a bientôt vingt ans. Rares sont les sagas à offrir une intrigue qui s’étire sur autant d’épisodes. Je me suis passionné pour les aventures de Nivek et Debrah depuis le premier jour et ne me suis encore jamais lasser de leurs pérégrinations aux côtés de mystérieuses et monstrueuses créatures ailées. Pour maintenir le rythme de la narration, les auteurs ont découpé l’histoire en saison de six tomes à la manière d’une série télévisuelle. Ce dix-septième opus est donc l’avant-dernière marche avant la conclusion de la troisième session. Avant d’entrer plus profondément dans mon ressenti à l’égard de ce dernier ouvrage, je me dois de préciser qu’il est impossible de commencer sa lecture sans avoir lu tous les épisodes précédents. Les prérequis sont trop importants et complexes pour espérer pouvoir prendre le train en marche sans s’y perdre. Néanmoins, je vais essayer d’être le plus clair dans mes propos pour rendre cette critique utile aux afficionados des Stryges comme aux novices de cet univers.
Les Stryges sont des créatures ailées dont le destin est lié à celui des humains. Ils trouvent leur place dans tous les mythes existant depuis des millénaires. Pour simplifier les choses à l’extrême, elles sont les garantes de la connaissance et ont le pouvoir d’offrir la vie éternelle à ses disciples. Le plus célèbre d’entre eux était Sandor Weltman. Ce dernier avait passé un contrat avec eux. En échange de l’immortalité, il s’engageait à trouver un remède à leur infertilité causée par la chute d’une curieuse météorite. Evidemment, tout ne se passa pas comme prévu et une succession d’événement fit que l’empire de Weltman devient la possession de Debrah, héroïne de la série aussi mystérieuse que charismatique. Cette troisième saison est essentiellement axée sur la volonté de Debrah de mettre la main sur les hybrides, fruit de l’union d’un stryge et d’un humain, pour prendre une décision importante : sont-ils les amis ou les ennemis des Stryges ?
La force principale de l’histoire à mes yeux est le savant dosage entre le thriller et le fantastique. Dès les premières pages du premier tome, l’immersion dans notre monde quotidien de ces forces obscures de l’ombre était passionnante. Même si les années passant, les créatures nous ont révélé quelques-uns de leurs secrets, la trame n’est jamais tombée pour autant dans un excès de fantastique. Quelque part, l’ensemble reste crédible et « réaliste » et c’est une performance après tant de tomes.
Ce dix-septième album n’est pas clairement pas le plus rythmé de la saga. Debrah a décidé de mener une guerre contre les Stryges et de lutter contre la dépendance des humains à leurs égards. Elles décident donc de les rencontrer et de mettre les choses au clair. Les deux tiers de la lecture n’est qu’une préparation à cette rencontre à grands enjeux mais à l’issue incertaine. J’avais le sentiment que toutes les pièces de l’échiquier se déplaçaient pour être en place pour le combat final. Ce choix scénaristique n’est pas désagréable car il permet au lecteur de sentir une légère montée dramatique et voit ainsi sa curiosité attisée. A contrario, le côté linéaire des événements empêche les rebondissements trop importants et trop fréquents. Les dix dernières pages sont décevantes car j’ai eu une sensation de remplissage en les découvrant. Malgré cette petite déception, le dénouement est d’une ampleur donnant vraiment envie de se plonger dans l’épisode suivant.
Cet album laisse finalement peu de place aux personnages et à leurs interactions. Eric Corbeyran avait toujours offert une part importante aux relations entre ses protagonistes. Les enjeux de l’album laissaient moins l’occasion à tout ce petit monde de se croiser. Par contre, cette mise en veille des héros au profit du déroulement du fil conducteur n’empêchent pas au scénariste de faire disparaître certaines personnes auxquelles je m’étais attaché. On ne peut pas dire que faire partie du camp des gentils garantisse une survie paisible.
Enfin sur le plan graphique, le travail de Richard Guérineau est toujours aussi sérieux. Même si je garde un attachement particulier au style graphique des premiers tomes, son évolution reste positive. Le trait est plus moderne et accompagne parfaitement cette histoire sans temps mort. De plus, le dessinateur n’a aucun difficulté à faire exister des lieux divers et variés, qu’ils soient urbains ou sauvages. Concernant les couleurs, je suis moins fan. Elles m’apparaissent un peu « simplistes ». J’ai le sentiment qu’un travail plus subtil aurait permis d’offrir une dimension plus réaliste à l’œuvre sur le plan graphique.
Pour conclure, Réalités est une étape de transition dans le déroulé de la saga. Malgré cela, l’ensemble reste correct malgré certains moments un petit peu dilués. Par contre, une chose est certaine, le prochain tome devrait offrir une grande révolution qui devrait laisser bien peu de monde indemne…