Saltiness
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Saltiness

Manga de Minoru Furuya (2012)

« Le présent n’existe pas en ce monde »


Vous êtes accueilli par ça pour quelque ouvrage que ce soit, l’instinct le plus élémentaire, de là, vous commande en principe de traverser le monde – fusse à la nage – afin de coller une claque sur la nuque de son auteur. Rien, en effet, ne transpire mieux la prétention mal assouvie qu’une phrase toute faite cherchant à établir un aphorisme digne d’un Skyblog vieux de 2004. La première impression est cruciale dans toute rencontre ; celle de Saltiness fut ainsi admirablement salopée à compter de sa toute première page.


La narration, avec une fausse habileté, cherchera bien à se rattraper, à la jouer « cool » en faisant dire à son personnage qu’il ne faisait que paraphraser un moine entendu à la radio… Tous, nous savons ce qui a été fait.


L’aspect excentrique et anti-conformiste du personnage est trop exubérant pour être admissible ou crédible. Il y a, je le sais, une limite fine comme du papier à cigarette entre un tempérament baroque et une personnalité d’abruti. Mais force est de constater que l’auteur, en écrivant son personnage principal, sera tombé dans le second cas de figure après avoir visé le premier.


Les dessins, convenables sans franchement vous marquer en un quelconque sens que ce soit, rappellent ceux de I Am a Hero en moins détaillés. Un rendu réaliste, sans fioriture ni rature d’aucune sorte. Un qu’on oubliera très vite pour ne pas nous avoir frappé en bien ou en mal.


Takehiko, bien qu’expressif et atypique, est un protagoniste insupportable. On se déplaît très franchement à suivre ses péripéties. Il a pourtant du caractère, mais il vous gonfle mieux qu’il ne vous agace. C’est encore un de ces mangas où la focale aura été portée sur un NEET asocial qui se découvre une vocation sur le tard. Un dont la vie, jusque là dépourvue du moindre sens, s’apprête à connaître un nouveau départ suite à un déclic. Je somnole rien que de l’écrire.


L’œuvre, sous couvert d’une trame sérieuse, est erratique et immature ; à l’image de son personnage principal dont ou voudrait ne plus avoir à le suivre. On veut nous le présenter comme drôle celui-ci – ça se sent à travers la mise en scène – l’auteur voudrait qu’on le trouve touchant… mais on se trouve, face à lui, partagé entre du mépris et de l’indifférence. Non, ça n’est pas un Looser Magnifique, mais une loque attardée chez qui rien, dans le moindre trait de caractère, ne suggère la sympathie.


On agence les protagonistes ensemble comme des éléments assemblés en toute hâte parce qu’il fallait bien le faire ; parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Takehiko, Tanigawa et Taichi, trois personnages écorchés par les affres de la vie moderne… mais sans que le parcours qui nous fut présenté ne soit intéressant. Vous voulez, monsieur Minoru Furuya, nous montrer des personnages tombés dans la précarité et en proie aux vicissitudes de la vie contemporaine dans tout ce que celle-ci comprend de plus mesquin ? Un petit tour du côté de chez Ushijima vous mettra du plomb dans la tête ; et à bout portant qui plus est. Ici, dans vos œuvres, les personnages ne sont pas crédibles ou appréciables, ils vivotent sans réellement que leurs actes ne supposent de conséquences graves en retour et surtout… ils causent. Toujours pour ne rien dire, mais d’un air blasé et faussement désespéré. Le manga-ci n’existe que par ses personnages et ceux-ci vous insupportent chaque fois que vous posez les yeux sur eux. Furuya les a écrits, c’est indéniable, il a cherché à les approfondir.

Mais si mal.


L’auteur nous présente en effet ses loques sous des traits dont il aimerait que ceux-ci nous intiment à la compassion ; que nous les percevions, à certains égards, comme des victimes. Or, aucun d’eux n’est à plaindre. Il y a, partout dans son récit, des kilolitres de complaisance versés dans des pages qui en sont imbibés et qui collent aux doigts. C’est poisseux ce qu’on lit là.


Et à longueur de chapitre, ce sont des discussions de bistrot, présentées sous couvert d’une philosophie à part dont il faudrait nous inspirer au prétexte qu’elle soit clamée. Il y a, dans chacun des propos prétentieux ainsi ânonnés tout du long, un concentré d’inanité pure qui vous fera soupirer pour peu que vous ayez un esprit critique et des sujets de conversation un peu plus élaborés que les leurs. Tout le monde y va de son petit quant à soi tout du long, avec pour instruction d’enrichir le lecteur. Car ce ne sont pas les personnages qui parlent entre eux. Oh ça non. La narration n’est pas assez subtile pour dissimuler le fait qu’elle nous vomit sa propagande à nous autres qui en sommes otage aussi longtemps qu’on s’abaisse à lire ceci.


Saltiness ne décrit aucune réalité sociale tangible ; se contentant plutôt de fantasmer le fond d’une génération en pleine errance après n’en avoir aperçu que les contours. Minoru Furuya, étranger à cette génération qu’il cherche à dépeindre ici laborieusement, s’imagine dans doute que la surface d’une mer se confond nécessairement avec ses abysses au prétexte que les deux soient mouillées.


Et bien sûr, ça se complaira dans l’infamie jusqu’à devenir mielleux et sirupeux, Takehiko allant encourager – comme pour se sacrifier pour le bonheur des autres – l’aspirant de sa sœur afin que celui-ci ose faire sa déclaration d’amour. Ô que tout cela est mauvais ; Ô que tout cela est cliché. Et la fin, peu concluante à bien des titres, sera puisée dans le même tonneau. Quand je pense que mes abonnés me recommandent de pareils manga avec l’espoir insane que je puisse potentiellement m’en régaler. Qu’un auteur ait si peu de choses à dire et, qu’il l’articule en plus si mal, m’aura fait mal aux oreilles rien qu’en lisant avec mes yeux.

Josselin-B
3
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le 6 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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