Je ne sais pas ce que donne la version espagnole de la célèbre chanson de Ratcliffe à la fin de Pocahontas, mais ce qui est certain, c’est que ce n’est pas de sitôt que Disney traitera de la question amérindienne comme le font Ralph Meyer et Xavier Dorison dans Salvaje, sixième tome des aventures de l’Undertaker, ce croque-mort sexy et caustique, aux antipodes de Mr. Mortimer Coffin dans les Lucky Luke.
Loin de la dictature de la « culpabilité blanche » et du politiquement correct qui gangrène actuellement les arts outre-Atlantique, mais tout aussi éloigné des clichés du « Noble Sauvage » largement véhiculés dans l’Hexagone par des BD telles que Yakari, Buddy Longway ou même Blueberry, Salvaje s’inscrit fermement dans une tendance récente à un examen critique mais plus impartial de la Conquête de l’Ouest en général et du sort et des coutumes des peuples natifs en particulier. Les uns ou les autres ne sont ni diabolisés, ni idéalisés en vertu de leur couleur de peau et de leur statut ; les mentalités sont explorées avec finesse et la cruauté d'un camp comme de l'autre remise dans le contexte de son époque.
Le personnage titulaire est emblématique de ce changement de cap : sans pitié avec ses ennemis comme avec sa propre progéniture, elle ne sacrifie rien à sa dignité ni à ses traditions, ce qui est certes admirable, mais provoque l’incompréhension de l’Undertaker, iconoclaste cherchant à échapper à tout prix à son passé… mais aussi de son jeune fils, poussé dans ses derniers retranchements par l’inflexibilité maternelle et tiraillé par le confort que lui offre le monde des Blancs, fussent-ils les assassins de son peuple. Le quatuor institué par l’album précédent, L’Indien Blanc, continue de fonctionner à merveille, d’autant qu’il est malmené de l’extérieur aussi bien que de l’intérieur.
La dynamique entre l’Undertaker Jonas Crow et son vieil ami/ennemi Sid Beauchamp, en revanche, m’a un peu laissé sur ma faim. C’est le deuxième diptyque d’affilée où j’ai le sentiment qu’après avoir confectionné un antagoniste d’anthologie, Xavier Dorison se retient d’utiliser pleinement son potentiel, pour arriver à une sorte de statu quo. Le parallèle est bien là entre le désir de « seconde jeunesse » de Beauchamp, le traditionalisme sans compromis de Salvaje et l'incessante alternance entre égoïsme et altruisme chez Jonas, tandis qu’une fois encore l’ombre du film Impitoyable se fait ressentir à travers les rêves de grandeur architecturale du premier, mais tout cela aboutit à un clash finalement assez sage…
Au moins la dernière planche promet-elle de faire du personnage de Jonas le moteur de l’action du prochain duo d’albums, après avoir passé les six derniers à exécuter les doléances de ses employeurs (c’est son métier, me direz-vous). Du reste, tout ce qui a fait le succès mérité de la BD western la plus populaire du moment est toujours au rendez-vous, depuis les dialogues acérés jusqu’aux superbes panoramas de Ralph Meyer, avec une emphase toute particulière sur les morts inventives et jouissives – la séquence du train, représentée sur la couverture, aurait fait la fierté de Sergio Leone dont elle rappelle l’Il était une fois dans l’Ouest ! Et à l’instar du personnage du Cheyenne dans ledit film, le lecteur est assuré de continuer à prendre son pied… botté ou non !