Certains croient que le génie est un facteur génétique, les autres ont des frères et sœurs. Masashi Kishimoto, lui, en tout cas, il avait un frère. C’est pas sa plus grande fierté dans la vie. Ça ne doit pas non plus être sa plus grande honte si je me fie à la manière dont s’est terminé Naruto, une œuvre qui, durant 26 tomes, avait amplement justifié le statut d’auteur de génie accordé à son démiurge dans le milieu du Shônen.
Le premier chapitre s’appelle « Amis ». Préparez le kit de réanimation. Pour moi, pour vous, et aussi pour électriser un auteur qui se sera saisi d’un crayon lorsque son électroencéphalogramme était résolument plat. Il y a des augures qui, d’un mot d’un seul, présagent assurément le pire. Aussi, quand « ami » tapisse les murs d’un Shônen c’est avec une angoisse irrépressible qu’on entame la lecture. Bon nombre de Shônens sont des compositions horrifiques qui s’ignorent, Satan 666 en est.
Et comme première réplique, une citation de l’Apocalypse selon Saint Jean. Alors, je l’ai déjà écrit par le passé, mais je le répète par mesure de précaution : un Japonais, faut pas lui mettre une Bible entre les mains. Jamais. Une Bible, entre les mains d’un Européen, ça donne lieu à des cathédrales et la Sainte Inquisition ; des trucs constructifs. Chez les Japonais en revanche, la Bible, ça fait vrombir les méchas et tousser les Vampires. Peut-être que eux lisent entre les lignes et qu’ils ont vu des passages qui nous ont échappés, toujours est-il que ça vite fait de devenir bizarre.
Je savais que Seishi Kishimoto était le frère de son frère – et vice versa par ailleurs – mais je ne me serais jamais douté de ce sur quoi je porterai les yeux pour autant. N’aurais-je pas su que les deux avaient une parenté commune que j’aurais cependant deviné que le dessin avait le même lignage. Parlons sans ambages… Seishi Kishimoto a copieusement pioché dans le style graphique de son frère. C’en est si flagrant que c’en devient d’ailleurs gênant. Les paysages et les bâtiments, les monstres ; ce côté fantaisiste qui était propre au Masashi Kishimoto des débuts… ça nous saute aux yeux même si l’on détourne le regard. On aurait pu penser qu’un auteur, en ayant pour frère une légende du Shônen, aurait naturellement voulu se démarquer de lui pour ne jamais avoir à souffrir la comparaison… eh bien non. Bon sang… osez me dire que vous ne pensez pas instinctivement à Naruto en voyant une image pareille. Et de ça, Satan 666 en est gavé d’un tome à l’autre.
La proximité du dessin se retranscrit même impudiquement sur les personnages. Il faut ajouter que ceux-là sont insupportables dès l’instant où on les croisera. Un lecteur aura d’ailleurs plus vite fait de les entendre à travers le papier que de les voir à proprement parler.
Seishi Kishimoto est un de ces auteurs qui, pour meubler le trou, que dis-je… le gouffre qui constitue l’absence de personnalité constitutive de ses personnages, compense avec des éclats émotionnels tonitruants. Alors ça gueule pour un « oui », pour un « non » et même pour un « peut-être ». Nous aurons droit à un théâtre expansif d’états d’âmes criés plutôt que rapportés ; à du Kabuki sous méthamphétamine, mais sans le panache. Figurez-vous que leurs agitations bruyantes et stériles sont censées nous faire rire, nous faire pleurer, ou bien même nous suggérer quelques émotions. Si l’agacement peut-être interprété comme une émotion, alors j’admets que le pari est réussi.
Satan 666 est l’œuvre que rechercheraient avidement les quelques dérangés s’étant un jour demandé ce qui adviendrait si on croisait le fond de Fairy Tail à la forme de Naruto. J’aurais, je crois, pu limiter ma critique à cette seule phrase tant son acuité et sa pertinence ne souffrent d’aucune contestation possible.
C’est assez lamentable de part en part, il faut le dire sans chercher à ménager le cadet des Kishimoto. L’exposition de l’objectif des personnages principaux est rapporté de manière si peu naturelle qu’on voudrait demander des comptes au chargé éditorial. Comment diable peut-on avaliser des dialogues aussi mal ficelés ? Comment peut-on considérer comme acceptable le fait de diffuser un contenu aussi mal branlé, ne serait-ce que dans sa construction scénographique ? Les planches sont mal découpées, les transitions chaotiques et désarticulées… si ce n’est son nom, Seishi Kishimoto n’avait rien à apporter à la maison d’édition qu’il s’en était allé courtiser.
Seishi Kishimoto est alors pareil à un mangaka qui suivrait froidement, ligne après ligne, le cahier des charges du parfait Shônen ronflant en jetant cyniquement tous les poncifs du genre à la suite. Et en les jetant mal qui plus est, car il vise sans cesse à côté dans tout ce qu’il entreprend.
La comparaison à Dragon Ball, là non plus, ne saurait vous être épargnée. Il est question après tout d’une jeune fille qui part à l’aventure, recherchant des trésors très spécifiques : les Dragon B…, pardon ; les O-parts. Elle tombe inopinément sur un garçon plus jeune qu’elle qu’elle manque de tuer et qui, du fait de sa puissance, sera pour elle un allié on ne peut plus opportun dans sa quête. Certains me croiront de mauvaise foi en s’imaginant que j’ai simplifié à l’extrême pour faire coïncider les deux intrigues… qu’ils lisent le premier chapitre, qu’ils le lisent pour s’en rendre compte ; Seishi Kishimoto ne fait même pas l’effort de cacher ses emprunts.
Puisque la mise en scène pèche à tous les étages, les combats nous apparaîtront plats ; sans même une aspérité à nous mettre sous la dent. Seishi Kishimoto sait peut-être copier le style de son frère, mais en infiniment moins bien. Ses personnages sont raides et statiques et leurs actions semblent émaner d’automates rigides et rouillés. Il en résulte un sens de l’action dépourvu de dynamisme et de spontanéité. Ce n’est pas une chose que je devrais écrire, mais l’orchestration des combats m’aura rappelé ce que j’ai pu lire dans Dragon Ball….. Multiverse.
Oui.
Je vous parle par ailleurs d’affrontements qui en un rien de temps, vireront à la déferlante de puissance et de destruction débridée. Keishi Kishimoto, parce qu’il ne sait pas établir son récit, presse sa narration pour accélérer le débit de conneries en conséquence. Il passe ainsi la cinquième après avoir passé la première alors forcément… ça cale.
Satan 666, je persiste et signe, est un résidu de Hiro Mashima dont le trait n’aurait cette fois pas été plagié à One Piece mais à Naruto. Toute la mièvrerie Shônen la plus caricaturale y est dégueulée en continu. De scénario, l’œuvre n’en a pas même une bribe à présenter. Si ce n’est une succession maladroite de prétextes à la castagne - sans aucune autre forme de construction ne serait-ce qu’en guise de garniture – la trame étant absente. Satan 666 ne savait pas où il allait dès son premier chapitre, aussi ne s’étonnerons-nous pas de la voir aboutir nulle part.
Plus drôle encore ; ce plagiat artistique pour ce qui concerne le dessin, il finira par nous manquer quand Seishi Kishimoto s’essaiera à un style plus personnel qui deviendra… quelconque au possible et sans caractère aucun. Et cela m’aura amené à constater que… la même remarque pouvait être adressée à Masashi Kishimoto. Lui aussi a laissé son art se lisser et s’abâtardir pour n’être plus que l’ombre de ce qu’il avait été. Le plus triste, alors que l’on reconnaît ce constat, c’est encore de remarquer que la fin dépourvue d’inspiration de Satan 666, avec combat contre le grand méchant à la clé… est exactement analogue à la fin de Naruto.
C’est à croire que l’aîné, par solidarité familiale, s’est senti de suivre son cadet dans la chute de son œuvre. Constater la forfaiture de Satan 666, c’est me souvenir de la déliquescence de cette perle de Shônen que fut Naruto. Aussi comprendra-t-on que la mansuétude ne sera pas de rigueur. Keishi Kishimoto n’a d’ailleurs pas eu un argument à faire valoir pour m’y prédisposer.